🇧🇴 «L’effondrement d’une partie du Cerro Rico est imminent» : en Bolivie, les dangers de la mine face aux enjeux de la manne (Nils Sabin / Libération)
Rongé par des cratères, vidé de ses minerais depuis cinq cents ans, le «Cerro Rico», qui fait vivre plus de 12 000 mineurs à Potosí dans le sud du pays, menace de s’effondrer. Malgré les alertes, son exploitation très lucrative n’a que peu ralenti.

Le Cerro Rico est une gueule cassée qui domine la ville de Potosí de ses 4768 mètres d’altitude. Une montagne de rouille et d’ocre vidée de ses entrailles, ployant sous son propre poids qui voit chaque jour des milliers de mineurs entrer en son sein pour la dépecer morceau par morceau. Autrefois un pic triangulaire quasi parfait, son flanc Est est désormais légèrement affaissé et ses hauteurs criblées de cratères de plusieurs dizaines de mètres de profondeur. «Aujourd’hui, l’effondrement de la partie haute du Cerro Rico est imminent car en 480 ans son exploitation minière n’a jamais cessé», alerte Hernán Ríos Montero, géologue à l’université Tomás Frías de Potosí.
L’histoire de Potosí (4090 mètres) est intimement liée à celle du Cerro Rico. C’est même la découverte, en 1545, de filons d’argent dans la montagne qui conduit les Espagnols à fonder une ville à son pied. Potosí devient rapidement le centre des Amériques coloniales, on y frappe les monnaies d’argent qui sont ensuite envoyées à la couronne espagnole, abreuvant l’Europe de richesses et participant à l’essor du capitalisme historique. La ville et sa «colline riche» ont connu l’ère de l’argent, puis celle de l’étain à partir de la fin du XIXe siècle et depuis les années 80, on en extrait du zinc ou encore des concentrés argent-zinc ou plomb-argent. «Pendant les premiers siècles d’exploitation, seul l’argent était extrait. Les autres métaux et les résidus sans valeur étaient laissés à l’intérieur de la montagne, explique Hernán Ríos Montero, puis, quand les veines d’argent ont été épuisées, les mineurs ont commencé à exploiter ces amas encore riches en métaux et le Cerro Rico a peu à peu été vidé.»
Ces quinze dernières années, la partie supérieure du Cerro Rico s’est rapidement dégradée avec la formation de plusieurs cratères, dus à des éboulements. En 2014, le site de Potosí — inscrit à l’Unesco depuis 1987 — est placé sur la liste du patrimoine mondial en péril. Depuis, peu de mesures ont été prises pour tenter de préserver la «colline riche» de l’effondrement. En 2022, une décision de justice a interdit toute activité minière au-dessus de 4400 mètres et obligé la Comibol, entreprise minière publique et gestionnaire de la montagne, à relocaliser les coopératives qui travaillaient dans cette zone. Une petite révolution à Potosí, en théorie.
«Conséquences économiques et sociales»
Car dans les faits, l’exploitation du Cerro Rico n’a que peu ralenti. Pailaviri, camp de base minier au pied de la montagne, est une vraie fourmilière avec son manège interrompu de mineurs sur le départ ou se rendant aux mines, ses vendeurs de snacks ou de feuilles de coca et surtout le flot de camions qui descend du Cerro Rico, les bennes remplies de minéraux. Les entrées de mines les plus basses, à 4200 mètres, donnent quasiment sur la route et voient régulièrement sortir des wagonnets remplis de minerai, poussés par deux mineurs casqués. S’il n’y a pas de recensement précis du nombre de travailleurs, il est estimé que 10 à 12 000 mineurs continuent de travailler quotidiennement dans la montagne, un chiffre qui varie au gré des prix internationaux des métaux. «Réduire l’activité minière est très difficile, car cela aurait des conséquences économiques et sociales très fortes à Potosí», reconnaît Santiago Cardeñas, ingénieur à la Comibol.
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