« Lancer un grand front international contre l’extrême droite ». Échos du Forum social mondial au Népal, 15-19 février 2024 (Eric Toussaint CADTM / fr.esp.)


Au terme d’une nouvelle édition du Forum social mondial (FSM) qui s’est déroulée à Katmandou, au Népal, du 15 au 19 février, l’heure est au bilan. « Ce fut un événement très positif pour la région. Mais il faut aller de l’avant, promouvoir des initiatives concrètes dans un contexte international complexe marqué par l’offensive de l’extrême droite », estime l’historien et économiste belge Eric Toussaint, fondateur et porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), interviewé par Sergio Ferrari. France Amérique Latine était également représentée et a participé à plusieurs ateliers.


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Éric Toussaint (ÉT) : Il a été très positif, principalement en raison de la participation de secteurs populaire très divers et parmi les plus opprimés. Je pense notamment aux Dalits, la caste des intouchables, aux peuples natifs et indigènes, historiquement marginalisés mais très organisés, aux forces syndicales, à de nombreuses féministes issues des classes populaires. La majorité était originaire du Népal et de l’Inde. Les organisateurs ont compté 15 000 inscriptions (ndr de plus de 90 pays) et lors de la manifestation d’ouverture du jeudi 15, entre 12 et 15 000 participants se sont mobilisés. Dans les conférences, les ateliers et les activités culturelles, chaque jour, il y avait pas moins de 10.000 personnes. C’était une excellente décision de venir au Népal. Cependant, le FSM en tant que tel n’a pas atteint la même représentation qu’au cours de sa première décennie d’existence, depuis sa fondation à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Il y avait très peu de participant-es venant d’Europe, d’Amérique latine ou d’Afrique. Bref, un bon niveau de participation régionale mais une faible présence des autres continents. Cela montre les difficultés du FSM à prendre des initiatives globales ayant un impact réel.

ET : Pas tout à fait. Si nous pensons à cette édition à Salvador de Bahia, bien qu’elle ait été bien suivie, elle était essentiellement réduite à la région du Nord-Est avec des représentations de quelques autres régions du Brésil. Malheureusement, la présence d’autres continents était faible à Salvador de Bahia.
Nous percevons aujourd’hui une réalité contradictoire. D’une part, le Forum social mondial ne constitue plus une véritable force d’attraction et de propulsion. D’autre part, c’est le seul espace mondial qui existe encore. C’est pourquoi il est encore important pour des réseaux internationaux comme le CADTM d’y participer.

Je suis convaincu que si le FSM avait une force réelle – telle que nous l’avons obtenue en février 2003 lorsque nous avons appelé à de grandes mobilisations pour la paix et contre la guerre en Irak – son pouvoir serait aujourd’hui significatif : à la fois pour faire face au génocide en Palestine et pour aider à construire un large frein à la croissance de l’extrême droite que l’on peut observer dans de nombreuses régions du monde.

Quand je dis cela, je fais référence, entre autres, à Narendra Modi en Inde, nationaliste, anti-slam et anti-musulman, violent ; à Ferdinand Marcos Junior aux Philippines, héritier non seulement de la dictature familiale mais aussi du répressif Rodrigo Duterte ; à la régression réactionnaire du régime en Tunisie, de plus en plus similaire à l’ancienne dictature de Ben Ali, avant le printemps arabe. En Europe, il y a des gouvernements extrémistes et bellicistes comme ceux de Vladimir Poutine en Russie, de Giorgia Meloni en Italie, de Viktor Orban en Hongrie et en Ukraine un gouvernement de droite néolibéral pro-OTAN.

Je pense aussi aux menaces réelles de Chega, une nouvelle extrême droite au Portugal qui aspire à récolter 20 % des suffrages alors qu’elle était absente électoralement entre 1975 et il y a seulement trois ans ; la possibilité d’une victoire de Marine Le Pen en France aux prochaines présidentielles ; VOX en Espagne ; la victoire électorale du parti d’extrême droite aux Pays-Bas, l’avancée de l’AFD en Allemagne…

Et sans prétendre les citer tous, en Amérique latine, des présidents comme Nayib Bukele au Salvador ou Javier Milei en Argentine, avec un programme économique et social plus radical que Pinochet lui-même dans le Chili dictatorial. Tout cela dans le contexte mondial d’une possible victoire électorale de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles américaines. Sans oublier le gouvernement fasciste de Benjamin Netanyahu en Israël, promouvant un projet raciste, génocidaire et colonialiste.

ET : Je pense que la formule d’un FSM avec seulement des mouvements sociaux et des ONG mais sans partis politiques progressistes (comme défini dans la Charte des principes de 2021) ne permet pas une lutte adéquate contre l’extrême droite. Face à la montée de l’extrême droite et des projets fascistes, il faut chercher un autre type de convergence internationale. Dans ce sens, le CADTM, avec d’autres acteurs sociaux, a contacté le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) et le PT (Parti des Travailleurs) de Porto Alegre, berceau du Forum Social Mondial depuis 2001, pour proposer la création d’un Comité d’organisation qui convoquerait une réunion internationale en mai pour discuter de la marche à suivre, en vue d’une grande réunion dans un an. Avec une vision large pour intégrer les mouvements sociaux de toutes sortes, les féministes, les activistes pour la justice climatique, les croyants progressistes, dans la perspective de réfléchir à la meilleure façon de résister à l’extrême droite. Des acteurs importants tels que le mouvement brésilien des travailleurs sans terre (MST) pourraient y participer activement. S’ils ont réussi au Brésil à se libérer de Jair Bolsonaro avec une large politique d’alliances politiques et sociales, il est essentiel d’en tirer des leçons politiques concrètes. Le Forum social mondial pourrait continuer, mais nous sommes convaincus qu’un nouveau cadre de forces capables de se remobiliser est nécessaire. (…)

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