Page 5 - fal_mag_113_definitif
P. 5

ACTUALITES

                                                L’art maya au Quai Branly,
                                                   la culture à quel prix ?

A l’occasion de l’ouverture de l’exposition « Mayas, de l’aube au crépuscule », sponsorisée par l’entre-
prise pétrolière Perenco, le Collectif Guatemala rendait public le rapport « Perenco, exploiter le pé-
trole coûte que coûte » et, avec le soutien d’autres associations, dont France Amérique latine, lançait
une campagne pour dénoncer les activités de cette entreprise franco-britannique au Guatemala. Un
retour sur les principaux enjeux.

Le 20 juin dernier, s’inaugurait à Paris, au Mu-      Si la voix des communautés est passée sous
sée du Quai Branly (MQB), l’exposition «Mayas,        silence, le MQB a par contre élaboré un pro-
de l’aube au crépuscule». Dans la mezzanine-          gramme sur mesure pour les opérateurs des
est du musée, suivis par une cohorte de jour-         projets archéologiques. Le gouvernement
nalistes, les ministres et diplomates français et     guatémaltèque est venu pour vendre le pro-
leurs homologues guatémaltèques, accom-               duit touristique « Guatemala, le cœur du mon-
pagnés par le directeur du musée, Stéphane            de Maya », basé sur les forêts vierges, les sites
Martin, découvraient avec enthousiasme les            archéologiques et le folklore local. Également
vestiges archéologiques du site El Mirador,           présents à Paris, l’oligarchie guatémaltèque
pour la première fois présentés en France. Se-        et les multinationales, qui investissent dans
lon Richard Hansen, l’archéologue en charge           le tourisme corporatif, la restauration de sites
du projet El Mirador, les récentes découvertes        et l’administration des zones protégées. Pour
réalisées dans le « Los Angeles des Mayas » of-       Fernando Paiz, le président de Walmart Amé-
frirait un nouvel éclairage sur « la plus grande      rique centrale, cette exposition est l’occa-
civilisation que l’humanité ait connue*» .            sion « d’organiser des cocktails afin de trouver
Cet engouement pour les Mayas préhispani-             des financements », comme celui réalisé avec
ques contraste avec le peu d’attention portée         Albert de Monaco, le 21 juin. Pour Hansen,
à leurs descendants. Le MQB, qui se reven-            El Mirador, «le projet privé le plus cher de l’his-
dique comme un « lieu de dialogue entre les           toire», recevra l’appui nécessaire : « Je ne me
cultures » a d’ailleurs oublié de les inviter à       fais aucun souci. Vendre El Mirador, c’est comme
Paris. « Il y en avait un », se défend la directrice  vendre le grand canyon ou la Tour Eiffel, le site
de communication du musée : « il me semble            parle de lui-même ».
que le ministre de la culture guatémaltèque est       Sur toutes les affiches de l’exposition appa-
un Maya, non ? ». L’anthropologue français            raît l’hermine du drapeau breton : le logo de
Jean-Loup Amselle commente: « Une véritable           l’entreprise pétrolière franco-britannique Pe-
archéologie décolonisée serait une archéologie        renco, qui est le mécène de l’exposition avec
où on demanderait leur avis aux descendants           une participation de 125 000 euros. À l’ori-
de ces civilisations ». Si les populations locales    gine une petite entreprise familiale, Perenco
du Guatemala n’ont pas été conviées, c’est            produit aujourd’hui 250.000 barils de pétrole
aussi parce qu’elles en auraient profité pour         brut dans 9 pays, qu’elle vend ensuite pour
évoquer la grave crise sociale et politique que       qu’il soit raffiné. La majeure partie de la plus-
vit leur pays.                                        value pétrolière se réalisant dans les activités
Dans le cadre d’un véritable «dialogue» entre         amont de la filière, Perenco enregistre de très
les peuples, un témoignage de populations             bons résultats financiers : la famille Perrodo,
vivantes aurait-il été apprécié par les visi-         propriétaire de Perenco, serait ainsi devenue,
teurs ? Amselle en doute : « Ce qui intéresse le      selon le mensuel « Challenge », la 40ème fortu-
public aujourd’hui, c’est le côté new age, la spi-    ne française en 2010. Discrète mais reconnue
ritualité. Les gens se foutent de ce que vivent les   par les spécialistes, Perenco base son modèle
populations locales. Ils ne veulent plus entendre     de développement sur le rachat de puits en
parler de luttes sociales.»                           fin de vie qu’elle ré-rentabilise en baissant les

* Entretien avec Richard Hansen, 20 juin 2011.
   1   2   3   4   5   6   7   8   9   10