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© Anna Bednik                                                               À l’instar de BASIC, Perenco a aussi recruté
                                                                            chez l’oligarchie guatémaltèque : Antonio
               coûts de production et en réalisant de nouvel-               Ayau, le neveu de l’ex-directeur de BASIC, Ma-
               les explorations. C’est ce même modèle qu’a                  nuel Ayau, est porte-parole de Perenco Gua-
               suivi Perenco au Guatemala en rachetant les                  temala. Si la liste des actionnaires de Perenco
               installations d’une entreprise américaine im-                Guatemala est protégée jusqu’en 2012 par la
               matriculée aux Bahamas : BASIC Ressources.                   loi sur l’accès à l’information, le controversé
               BASIC fut fondée par John Park, un avocat qui                renouvellement du contrat 2-85 en 2010
               a co-rédigé en 1955 le code du pétrole gua-                  prouve que l’entreprise franco-britannique a
               témaltèque destiné à faire revenir les multi-                su trouver l’appui d’alliés nationaux stratégi-
               nationales qui avaient fui le régime « socia-                ques. Cette concession, qui produit 95% du
               liste » d’Arbenz. Pour exploiter les gisements               cru national était frappée d’une interdiction
               qu’il avait découverts, Park s’associa à James               de renouvellement puisque située dans la La-
               Goldsmith et Gilberte Beaux, alors à la tête                 guna del Tigre, une zone considérée comme
               du Holding de la Générale Occidentale et qui                 la plus grande zone humide d’Amérique cen-
               investirent dans BASIC avec la sécurité de                   trale et déclarée protégée en 1989. Mais
               « gagner beaucoup d’argent*». Gilberte Beaux                 une loi votée « sur mesure** » a permis au
               fut la dirigeante de BASIC Guatemala jusqu’en                gouvernement de contourner l’interdiction
               1997, lorsque BASIC fut vendu à Noranda (Ca-                 et de renouveler pour 15 ans ce contrat à Pe-
               nada). Dans ses mémoires, Beaux ne cache                     renco, sans même lancer d’appel d’offre.
               pas sa réussite dans le business des hydrocar-               Pour pénétrer dans la Laguna del Tigre, il faut
               bures guatémaltèques : « un accroissement                    traverser la rivière la Pasion en utilisant un
               de fortune de plus de 20 fois en huit ans ».                 ferry administré par Perenco. Avant d’embar-
               Une des clefs de la réussite de Beaux est de                 quer, des militaires et des travailleurs du CO-
               s’être entourée de personnalités capables de                 NAP (Conseil National des Aires Protégées)
               négocier avec les dictateurs militaires au pou-              contrôlent les paysans puisqu’il est interdit d’y
               voir : Vernon Walters (CIA), Julio Duchez (mi-               introduire du matériel de construction. Seule
               nistre de l’économie de Rios Montt), Manuel                  Perenco est autorisée à en acheminer afin d’y
               Ayau (ultra libéral membre du parti d’extrême                forer ses nouveaux puits. De chaque côté de
               droite MLN)...                                               la route qui s’enfonce dans la zone protégée,
                                                                            des propriétés utilisées par les narcotrafi-
                                                                            quants pour la réception et l’acheminement
                                                                            de drogue. Puis viennent les communautés
                                                                            paysannes et les puits de Perenco. Une pay-
                                                                            sanne raconte : « L’entreprise nous interdit
                                                                            d’utiliser l’eau de la lagune car elle serait polluée
                                                                            par le puits qui est juste à côté ». D’autres dé-
                                                                            noncent les promesses non tenues: « L’entre-
                                                                            prise nous avait promis des postes de santé et
                                                                            des écoles. Mais le poste de santé n’ouvre qu’une
                                                                            fois par semaine et les docteurs nous donnent
                                                                            seulement du paracétamol ». Plus loin, une
                                                                            zone de jungle où l’entreprise va forer « sans
                                                                            avoir demandé la permission à personne ». Les
                                                                            paysans, qui assurent que cette terre appar-
                                                                            tient à un des leurs, ne possèdent pas de titre
                                                                            de propriété. Dans les années 80, ils se sont
                                                                            engouffrés dans la brèche ouverte par BASIC.
                                                                            Aujourd’hui, la zone est protégée et ils sont
                                                                            menacés d’expulsion. L’avocat Ramon Cadena
                                                                            explique : « Les communautés n’ont pas le droit

               * Gilberte Beaux, une femme libre. Édition Fayard. 2006.
               ** FONPETROL
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