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L'envers du processus de paix :
la répression et la criminalisation
des mouvements sociaux
Depuis l'ouverture des négociations de paix entre le gouvernement colombien et la guérilla
des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), il y a plus de trois ans, le regard
que porte la communauté internationale sur ce pays a profondément changé. Autrefois
vue quasiment exclusivement selon le prisme de la violence et du narcotrafic, la Colombie
est désormais considérée comme un pays particulièrement prometteur, et de nombreux
investisseurs étrangers anticipent déjà la période de "post-conflit" en vue de s'y implanter.
Cette transformation importante de la perception du pays tient bien évidemment à
l'évènement que constituerait la fin d'un conflit armé officiellement vieux de plus d'un demi-
siècle, mais elle est également le fruit d'une stratégie soigneusement mise en place par le
président Santos depuis son arrivée au pouvoir en 2010.
Un conflit durable et complexe Les précédentes négociations de paix en
Colombie, qu'elles aient réussi ou échoué, ont DOSSIER
Pourtant, sans vouloir minimiser l'importance toujours été accompagnées d'une augmentation
du processus de paix actuel et les espoirs qu'il des attaques à l'encontre des secteurs
suscite, la complexité et la longévité du conflit représentant l'opposition au sens large. Il suffit de
colombien incitent à une certaine forme de se remémorer le véritable génocide à l'encontre
prudence lorsqu'il s'agit d'analyser la conjoncture du parti politique de l'UP (Union Patriotique),
actuelle. Tout d'abord, il faut signaler que les créé en 1985 pendant les négociations entre le
causes structurelles du conflit interne, celles- gouvernement de Belisario Betancur et les FARC.
là mêmes qui lui ont donné origine et qui l'ont Rappelons également l'assassinat de Carlos
fait perdurer, sont loin d'être résolues. C'est par Pizarro, alors qu'il était candidat à l'élection
exemple le cas de la question des terres et de celle présidentielle pour le parti né de la démobilisation
de l'exclusion politique, toutes deux absolument réussie de la guérilla du M-19, qu'il avait lui-même
centrales dans le conflit, et encore pleinement menée à terme en tant que commandant. A cet
d'actualité. Or, bien que ces deux problématiques égard, la situation que vit actuellement le pays ne
majeures figurent à juste titre dans l'agenda des fait pas exception.
négociations de paix entre le gouvernement et les
FARC, et qu'elles aient déjà fait l'objet d'un accord Un contexte de répression accrue
partiel, elles ne pourront trouver une solution que
par le biais de profondes réformes, soutenues par On constate que les agressions contre les
une volonté politique sans équivoque. défenseurs des droits humains, les militants
politiques, les leaders sociaux ou les paysans
Par ailleurs, il convient de rappeler qu'il existe en lutte pour la restitution des terres sont en
une deuxième guérilla en Colombie, l'ELN (Armée augmentation et se chiffrent chaque année en
de Libération Nationale), qui, bien que beaucoup centaines, dont plusieurs dizaines d'assassinats.
moins connue à l'étranger et moins importante
que les FARC en termes d'effectifs, est toute aussi Le président Juan Manuel Santos évite
ancienne et s'avère loin d'être défaite. Même généralement de se prononcer sur ces attaques,
si des négociations de paix avec cette guérilla préférant vanter les mérites de sa "politique pour la
semblent sur le point de débuter formellement, il paix", alors que son gouvernement se contente de
s'agira très probablement, au vu des précédentes les attribuer à des bandes criminelles (Bacrim). On
tentatives de négociations, d'un processus peut ainsi affirmer que les autorités colombiennes
complexe. font preuve de passivité et de manque de volonté
Parallèlement, il faut insister sur le fait que, politique face à la persécution dont souffrent de
contrairement aux affirmations du gouvernement trop nombreuses personnes considérées comme
colombien, les groupes paramilitaires sont se situant dans l'opposition, permettant de fait le
toujours actifs dans le pays, ce qui démontre maintien d'un taux d'impunité proche du 100%.
l'échec du soi-disant processus de démobilisation Non seulement l'État colombien démontre son
mis en oeuvre sous le gouvernement d'Alvaro "incapacité" à poursuivre les auteurs de cette
Uribe avec la loi Justicia y Paz. Ces paramilitaires persécution, mais on peut même dire qu'il y
sont toujours imprégnés d'idéologie contre- contribue en poursuivant judiciairement de
insurrectionnelle, continuent de défendre de nombreux membres des mouvements sociaux.
puissants intérêts privés et économiques, et En effet, alors même qu'un des point essentiels
maintiennent des liens étroits avec les forces des négociations de paix qui se déroulent à La
armées et les élites régionales. Havane, est de mettre en place de nouvelles
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