Page 14 - 128 40 ans Argentine
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Macri et les médias :
manœuvres en eaux troubles

« Les menteurs ne sont jamais plus fanfarons qu’en l’absence de contradicteurs. »
Sans affirmer que Mauricio Macri connaisse cette phrase d’Esope1, il semble qu’il
en ait bien assimilé l’esprit. Ayant annoncé son intention de réformer l’ambitieuse
« loi sur les médias » mise en place sous le mandat Kirchner, l’ancien maire de
Buenos Aires n’a pas attendu longtemps pour mettre ses menaces à exécution…

                  Attaque contre la « loi sur les médias »          Outre la brutalité et le caractère peu démocratique
       En mars 2009, le gouvernement de Cristina Kirchner           de la méthode, le nouveau chef de l’exécutif argentin
       propose un projet visant à remplacer l’ancienne loi          s’illustre ainsi par la mainmise sur des entités qui,
       de radiodiffusion adoptée sous la dictature militaire        statutairement, avait été instituées par la loi comme
       (1976-83). Réservant la radiodiffusion aux seules fins       indépendantes du gouvernement. En appelant
       lucratives, l’ancienne norme avait ouvert la voie à          également les actionnaires de l’entreprise Cablevisión
       une forte concentration des médias en Argentine, via         – plus grande entreprise de télévision par câble
       l’apparition de holdings et d’oligopoles.                    d’Argentine, à « laisser sans effet toutes les demandes
       À l’issue de plusieurs mois de débats, la « loi sur les      […] relatives au plan d’adéquation » prévoyant le
       services de communication audiovisuelle », adoptée à         démantèlement du conglomérat, Macri fait clairement
       une écrasante majorité au Parlement, est promulguée          un geste en direction du groupe Clarín, propriétaire de
       en octobre 2009. Elle prévoit, entre autres, des             Cablevisión.
       dispositions anti concentration et une égale répartition     Contacté par nos soins, le bureau Amériques de
       du spectre audiovisuel en trois tiers : médias publics,      Reporters sans Frontières (RSF) qualifie ces premières
       médias privés et médias « associatifs ». Ce qui n’a pas      mesures et décisions de « préoccupantes, en particulier
       manqué de susciter l’opposition de grands groupes            du fait qu’elles aient été prises par décret […] sans
       privés, Clarín en tête, et d’un certain Mauricio Macri…      aucun débat ou consultation antérieure d’experts ou
       Durant la campagne électorale, il ira en effet jusqu’à       de la population, c'est-à-dire sans recherche apparente
       qualifier la loi d’« instrument de guerre dans la tentative  de l’intérêt général ». Autre source d’inquiétude pour
       de contrôle des médias ».                                    RSF : « l’augmentation de la concentration des médias
       Au lendemain de sa prise de fonctions, en                    que ces mesures pourraient favoriser » qui représente
       décembre 2015, il annonce, via la publication d’un           « une menace évidente pour la liberté d’information
       « décret d’urgence », la suspension des activités            et d’expression et un facteur de détérioration de la
       des deux autorités de régulation des médias et               qualité d’information ». Des craintes partagées par
       des télécommunications (l’Afsca et l’Aftic), et leur         de nombreux universitaires argentins, spécialistes
       subordination au ministère des Communications.               des médias, qui l’ont fait savoir par une déclaration
                                                                    publique début février.
24 mars 2012 : Marche pour la mémoire et la Justice. Buenos Aires.

Photo : Martin Barzilai.
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