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Photo : G.Trucchi.

dans les campagnes les plus reculées. L’annonce                              tôt), étaient l’occasion de fructueux échanges entre
récente de la reprise du projet grâce, notamment, à des                      organisations. Parmi les plus actives, figurait le Centre
financements européens et nationaux5, avait entraîné                         de recherche économique et politique d’action
immédiatement une recrudescence du harcèlement                               communautaire (CIEPAC en espagnol), cofondé par
contre le COPINH en général et des menaces contre la                         le sociologue mexicain Gustavo Castro. Les liens de
vie de Berta en particulier.                                                 longue date qui l’unissait au COPINH ont voulu qu’il
                                                                             accompagnât Berta en cette fatidique nuit du 2 au
          Des luttes qui font écho à la résistance                           3 mars et fût par conséquent le seul témoin de son
                     de tout un continent                                    assassinat. A la douleur pour la perte d’une amie
                                                                             s’ajoute l’acharnement des autorités honduriennes
Toutefois, ni la lutte du COPINH et de sa co-fondatrice                      qui, de manière aussi arbitraire qu’inutile pour
pour la défense des territoires et des ressources,                           l’enquête, ont cru bon de prolonger de 30 jours son
ni les tentatives de museler les mobilisations ne                            obligation de rester à disposition de la justice.
sauraient se résumer à ce seul cas. Fondé en 1993, le
COPINH, tout comme la rébellion zapatiste dont il est                                  Berta Cáceres : une compagne de lutte,
contemporain, s’est forgé d’une part en réaction aux                                   une « copin-h-e », la solidarité incarnée
grandes manœuvres néolibérales de privatisation                              Je ne saurai conclure sans évoquer à la première
des terres et des ressources qui ont marqué le début                         personne, le souvenir que je garde de Berta, non pas
des années 1990, d’autre part, à l’ombre des grandes                         pour me l’approprier mais au contraire parce que je
mobilisations de 1992 qui, en marge des célébrations                         crois que parmi celles et ceux qui ont eu le privilège
du Bicentenaire de la découverte des Amériques,                              de la connaître, beaucoup partagent le sentiment
entendaient marquer 500 ans de résistance indigène,                          d’avoir perdu non seulement une compagne de lutte
noire et populaire.                                                          mais – osons le jeu de mot – aussi une « copin-h-e », en
Au début des années 2000, la tentative (avortée                              cela exceptionnelle qu’elle savait conjuguer la défense
depuis) d’instaurer une Zone de libre-échange des                            sans concession de ses convictions avec l’écoute et le
Amériques (ZLEA) ainsi que l’avancée de grands                               dialogue chaleureux. Cette manière d’être donnait
projets d’infrastructures comme le Plan Puebla Panamá                        l’impression, même après être restées plusieurs
(aujourd’hui rebaptisé Mesoamérica) contribuèrent                            années sans se voir, de reprendre une conversation
efficacement à renforcer les convergences entre les                          entamée la veille. Incontestable porte-parole des
organisations sociales mésoaméricaines. En 2003,                             peuples indigènes du Honduras, ses positions
La Esperanza, (Intibucá), fief du COPINH avait été                           ne furent jamais ni réductrices, ni étriquées mais
l’amphitryon de la rencontre contre la biopiraterie                          toujours ouvertes aux différences, pour peu qu’elles
et pour la défense de la biodiversité, préliminaire au                       soient toujours clairement exprimées. Berta savait
IVème Forum mésoaméricain contre le Plan Puebla                              faire front commun, sans jamais se départir de son
Panamá qui s´était tenu quelques jours plu tard à                            esprit critique, ni renoncer à défendre des positions
Tegucigalpa. A cette époque déjà, les ravages causés                         qui pouvaient être jugées par trop radicales par une
par l’extraction minière étaient en bonne place dans                         gauche modérée aspirant à l’exercice du pouvoir.
l’ordre du jour. De même que les spoliations de terres                       Les politiciens ne l’impressionnaient pas et gageons
et les emprisonnements arbitraires des paysans                               qu’elle ne le fut pas non plus au contact du pape
indigènes Pech de Montaña Verde sur lesquels le                              François lorsqu’elle fut amenée à participer au Vatican
COPINH tentait d’attirer l’attention.                                        aux réunions de travail préparatoire à la rédaction de
Ces grands rendez-vous (dont le premier avait eu                             l’encyclique Laudato Sí, qui pose dans sa dimension
lieu à Tapachula au Chiapas quelques années plus                             sociale, la question du devenir de la nature. Si de la
                                                                             Curie romaine aux paysans de l’Aguán, des Mapuche
5 Parmi lesquels, au niveau international : le Fonds de développement        de la Patagonie à Leonardo Di Caprio, une clameur
des Pays-Bas (FMO), le Finnish Fund for Industrial Cooperation               unanime à condamné son lâche assassinat, c’est sans
(FINNFUND), la Banque Centraméricaine d’Intégration Économique               doute parce que Berta traitait chacune et chacun
(BCIE), l'entreprise VoythHydro (filiale de l’allemande Siemens). Au         comme son égal(e). Elle restera pour moi la solidarité
niveau national : CASTOR (Constructora Cerros de Comayagua), Banco           incarnée.
Ficohsa, etc. Sans oublier au niveau institutionnel l’appui de l’Agence
étatsunienne USAID (à travers le projet MERCADO) et le Ministère                                                                Hélène ROUX
hondurien de l’environnement et des ressources naturelles (SERNA).                                                                   Journaliste

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