🇪🇺 Prochain sommet UE / Amérique latine : présidence espagnole, préparation allemande ? (Jean-Jacques Kourliandsky / IRIS)


Bruxelles et « les 27 » se préparent à recevoir les 17 et 18 juillet prochains les représentants des 33 pays membres de la CELAC, la Communauté des États latino-américains et de la Caraïbe. Ce sommet, le troisième du genre, vient ranimer un forum diplomatique tombé en léthargie. Le dernier du genre avait été organisé en effet les 10 et 11 juin 2015 à Bruxelles.


L’Espagne jugée la plus compétente par Bruxelles sur les questions latino-américaines a pris l’initiative. Josep Borrell, ex-ministre des Affaires étrangères espagnol, et actuel haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, avait tiré une sonnette d’alarme en novembre 2021. « L’Union européenne », avait-il dit avant d’effectuer un déplacement au Pérou et au Brésil, « devrait accorder un peu plus de poids à sa relation avec l’Amérique latine ». Ce tintinnabulement a été entendu par Madrid. José Manuel Albares, ministre espagnol des Affaires extérieures, a, le 12 septembre 2022, annoncé la couleur. La présidence espagnole du Conseil européen, au deuxième semestre 2023, va s’ouvrir sur un sommet Europe/Amérique latine.

De façon inattendue ce sommet a mobilisé sur la dernière ligne droite la diplomatie allemande. Au dernier G7 à Elmau, le 26 juin 2022 en Allemagne, Alberto Fernandez, président argentin et pro tempore de la CELAC, a été invité. Le vice-chancelier, Tobias Lindner, était en Argentine le 24 août 2022. Le président Franz-Walter Steinmeyer a effectué une visite d’État au Mexique les 19-21 septembre 2022. Il a représenté l’Allemagne à la prise de fonction présidentielle d’Inácio Lula da Silva le 1er janvier 2023. Le chancelier Olaf Scholz a visité ses homologues argentin, brésilien et chilien du 28 au 31 janvier 2023. Cet activisme n’a pourtant rien d’improvisé. Il consolide un intérêt et des ambitions qui ont pris un rythme nouveau depuis 2019. Berlin a en effet organisé, le 28 mai 2019, son premier sommet bilatéral Allemagne-Amérique latine. Cette manifestation avait été préparée par l’élaboration d’un livre blanc, et diverses visites de travail croisées. Toutes choses progressivement montées en puissance jusqu’au mois de janvier 2023.

L’Espagne, pays européen pilote en Amérique latine, n’est pas restée inerte pour autant. Le Roi Philippe VI a représenté Madrid aux prises de pouvoir des présidents chilien, Gabriel Boric Font le 11 mars 2022, colombien, Gustavo Petro le 7 août 2022 et brésilien, Inácio Lula da Silva le 1er janvier 2023. Le ministre espagnol de l’Inclusion et de la Sécurité sociale, José Luis Escriva, a participé à un débat le 12 janvier 2022 avec Lula, encore candidat à ce moment-là. Le président du gouvernement, Pedro Sánchez, a reçu son homologue argentin, Alberto Fernández, le 10 mai 2021. Il a visité l’Argentine le 8 juin 2022 et a effectué une visite de travail en Colombie, en Équateur et au Honduras, les 24 et 27 août 2022. L’Espagnol a également reçu le président du Paraguay, Mario Abdo Benítez, le 4 novembre 2022. Enfin, le 27 novembre 2022, il a été élu président de l’Internationale socialiste en présence de 20 délégations latino-américaines. Le 28e sommet ibéro-américain est programmé pour les 24 et 25 mars 2023 en République dominicaine.

Pourtant la relation hispano-latino-américaine n’a pas donné l’impression d’une accélération particulière ces derniers temps. Elle a été contrainte d’écoper de nombreuses voies d’eau. Les nouvelles générations de dirigeants latino-américains ont en effet manifesté de façon répétée leur agacement à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Le président mexicain, Andrès Manuel López Obrador, a demandé par écrit des excuses publiques au Roi d’Espagne, invité au repentir pour la colonisation du Mexique entre le XVIe et le XIXe siècle. Son homologue chilien, Gabriel Boric, a tout aussi publiquement épinglé Philippe VI, critiqué pour avoir retardé le déroulement de son investiture le 11 mars 2022. Mêmes commentaires, quelques semaines plus tard, le 7 août à Bogotá, le Roi d’Espagne étant soupçonné de lèse respect aux mannes du libérateur, Simon Bolivar.

Ces initiatives espagnole et allemande sont l’arbre qui cache la forêt. L’Amérique latine est en voie de garage européenne depuis plusieurs années. La statistique économique est trompeuse. L’Union est certes, en Amérique latine, en position flatteuse avec ses entreprises et son commerce. Mais les flux économiques et commerciaux, les investissements, venus de ses différents pays constituent-ils un tout cohérent assimilable à ceux provenant de Chine ou des États-Unis ? La concurrence est la règle entre voisins européens comme avec les acteurs d’autres continents.

En politique comme en diplomatie, l’intérêt est variable d’un pays à l’autre. L’Espagne est sans doute la plus active. Mais elle est embarrassée par son passé colonial. La France est fascinée par les puissances majeures, nord-américaines et asiatiques. Aspirant à occuper la place de deuxième, à Rome, elle est loin de l’Amérique latine. L’Italie a eu une politique latino-américaine. Mais elle est durablement engluée dans ses querelles internes, et les amitiés extrémistes de sa présidente du Conseil – signataire en 2019 d’une déclaration des droites radicales espagnoles et latino-américaines. Le tournant droitier de la Suède, le prisme antirusse des Européens de l’Est ne facilite pas un éventuel retour européen vers la partie méridionale des Amériques.

L’Allemagne, pour autant, joue-t-elle collectif ? Les différents déplacements effectués par ses plus hauts responsables en Amérique latine, répondent-ils à un objectif européen ou national ? Le sommet européen du 17 juillet prochain n’a pas été oublié par Olaf Scholz et Franz-Walter Steinmeyer. Tous deux ont bien dit à leurs interlocuteurs que Berlin attachait une grande importance au bouclage de la longue négociation du traité UE/Mercosur. La guerre russe en Ukraine a bien été signalée. Le président comme le chancelier ont, devant leurs différents homologues, confirmé la condamnation allemande de l’invasion russe, et les dotations financières et militaires accordées à l’Ukraine. Mais l’essentiel était incontestablement ailleurs. Olaf Scholz a été écouté, sans plus par ses interlocuteurs sud-américains qui refusent d’apporter une aide militaire à l’Ukraine, tout comme de se joindre aux sanctions appliquées à l’égard de Moscou. Lula, lui, a dit au sujet des relations Mercosur/Europe qu’il entendait lutter contre la déforestation de l’Amazonie, condition mise par Bruxelles pour ratifier l’accord bilatéral. Mais il a ajouté, tout comme l’Argentin Alberto Fernandez, qu’il souhaitait renégocier certains points de l’accord UE/Mercosur, afin de le rééquilibrer. Olaf Scholz a pris acte. Concédant, sur le conflit russo-ukrainien malgré tout, qu’il convenait « de parler autant que nécessaire » au président russe.

Principal partenaire économique européen des Amériques latines, sans passé colonial, l’Allemagne cherche depuis quelques années à diversifier ses relations internationales. La réduction durable de ses positions en Russie et les incertitudes chinoises et taïwanaises ont accéléré une réorientation déjà bien avancée. En quelques mois les trois pays latino-américains membres du G-20 ont été visités, donnant une légitimité, certes informelle, mais concrète, à un leadership européen allemand, au moins dans le cône sud. Le Brésil a été salué comme le leader naturel de l’Amérique latine avec lequel un dialogue politique doit être approfondi. Il devrait porter entre autres sur la réactivation du groupe « G4 », (Allemagne, Brésil, Inde, Japon), visant à réformer la composition du Conseil de sécurité de l’ONU. (…)

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