🇺🇸 🇻🇪 États-Unis/Venezuela : la guerre ou le deal ? (entretien avec Thomas Posado par Grégory Rayko / The Conversation)
Alors que Donald Trump exige qu’il démissionne, Nicolás Maduro refuse pour l’instant de quitter le pouvoir. Washington brandit la menace d’une intervention armée.

Donald Trump l’a exprimé on ne peut plus clairement : il souhaite la chute du régime de Nicolas Maduro, au pouvoir au Venezuela depuis qu’il a pris en 2013 la suite d’Hugo Chavez. Pour cela, le président des États-Unis brandit diverses menaces : bombardements, opérations clandestines de la CIA, voire intervention militaire au sol. Lui qui se targue d’avoir mis fin à plusieurs guerres depuis son retour à la Maison Blanche il y a un an est-il sur le point d’en démarrer une ? Entretien avec Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine à l’Université de Rouen-Normandie, auteur, entre autres publications, de Venezuela : de la révolution à l’effondrement. Le syndicalisme comme prisme de la crise politique (1999-2021) (Presses universitaires du Midi, 2023).
Une déflagration militaire entre les États-Unis et le Venezuela vous semble-t-elle aujourd’hui possible ?
Je pense que oui, même si j’étais plutôt sceptique il y a encore peu de temps. Aujourd’hui, un tel développement est envisageable, mais sous quelle forme ? Une guerre ouverte entre les deux États et une intervention terrestre comparable à celles qu’on a connues en Irak ou en Afghanistan me semble hautement improbable. Ne serait-ce que parce que, pour envahir le Venezuela, il faudrait mobiliser au moins 100 000 hommes et il y aurait sans doute des pertes assez importantes du côté de l’US Army, ce qui ne serait pas bien pris par l’opinion publique états-unienne et, spécialement, par une bonne partie de la base trumpiste.
Les dernières interventions militaires de Washington sur le continent, c’était unilatéralement au Panamá en 1989 et de manière multilatérale en Haïti en 1994. Deux petits pays de moins de 80 000 kilomètres carrés, alors que le Venezuela, c’est deux fois la France en superficie. Trump voudra sans doute éviter de plonger le pays dans un nouveau Vietnam ou un nouvel Afghanistan.
En revanche, des frappes ciblées ou des interventions terrestres extrêmement localisées — sur une raffinerie pétrolière par exemple — apparaissent comme des mesures crédibles au vu du déploiement militaire des États-Unis en mer des Caraïbes, et au vu de certaines actions que leurs forces armées ont conduites ces derniers mois — je pense notamment à leurs frappes contre l’Iran l’été dernier.
Trump a annoncé qu’il avait donné son feu vert à des actions clandestines de la CIA sur le territoire vénézuélien. De quoi pourrait-il s’agir, concrètement ?
Le fait même qu’on sache publiquement que Trump autorise des opérations secrètes de la CIA montre qu’il s’agit d’une manœuvre de communication. Le principe même des opérations secrètes est qu’elles ne sont pas claironnées à l’avance ! Il faut donc voir dans la déclaration de Trump avant tout un élément de pression psychologique sur l’adversaire.
Il n’empêche que cette annonce peut aussi avoir une traduction concrète. L’assassinat de certains hauts dirigeants vénézuéliens, voire de Maduro lui-même, est difficile à écarter. On sait en tout état de cause que ce n’est pas le respect du droit international qui bloquerait Donald Trump en la matière. Il a déjà ordonné ce type d’élimination de dignitaires étrangers — par exemple, pendant son premier mandat, celle du général iranien Ghassem Soleimani. L’assassinat extrajudiciaire est une mesure qui est présente dans le répertoire d’actions des États-Unis.
Autre possibilité : endommager gravement l’économie vénézuélienne en sabotant des infrastructures pétrolières. Une grande partie de l’électricité au Venezuela vient du barrage hydroélectrique de Guri, situé dans le sud du pays. Si vous touchez ce point, vous pouvez durablement impacter le réseau électrique du pays.
Vous avez dit que le droit international importait peu à Trump. Mais il doit tout de même composer avec la législation de son propre pays, s’il entend s’en prendre avec force à un État étranger…
Pour déclarer une guerre, il doit obtenir une majorité au Congrès, ce qui ne va pas de soi. Les votes sur la possibilité d’une guerre contre le Venezuela au Congrès des États-Unis sont toujours très serrés. Mais Trump tente de contourner cette règle. Il a classé comme « terroristes » des groupes comme le « Cartel de los Soles », dont il prétend qu’il serait dirigé par Maduro. En réalité, cette organisation n’existe pas vraiment, et n’a aucun lien structurel avec le gouvernement Maduro, selon les services de renseignement états-uniens eux-mêmes. Il n’empêche : Trump peut désormais prétendre qu’au Venezuela, il faut conduire une « opération antiterroriste ».
Il y a une dizaine de jours, Trump aurait eu une conversation téléphonique avec Maduro durant laquelle il aurait exigé que ce dernier démissionne et quitte le pays…
Il faut se méfier des déclarations des uns et des autres, mais apparemment, Trump aurait proposé à Maduro de s’exiler en Russie sous peine de représailles militaires et Maduro lui aurait répondu qu’il serait prêt à quitter le pouvoir, mais à condition que les sanctions soient levées ; qu’une centaine de dirigeants vénézuéliens soient amnistiés des accusation états-uniennes d’atteinte aux droits humains, de trafic de drogue ou de corruption ; qu’il continue à contrôler l’armée depuis son lieu d’exil ; et que sa vice-présidente, Delcy Rodriguez, assure un gouvernement par intérim. Conditions rejetées par Trump.
Du côté du pouvoir de Caracas, on a aussi laissé entendre que la discussion a été très cordiale et que Trump aurait invité Maduro à Washington — ce qui me semble peu crédible au vu des menaces qui pèsent sur le président vénézuélien, les États-Unis ayant promis 50 millions de dollars à quiconque faciliterait sa capture ! Je vois donc mal un sommet international entre les deux hommes ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a des manœuvres de communication de part et d’autre.
Trump veut un changement de régime, idéalement sans intervention militaire : cela représenterait une vraie victoire diplomatique pour lui. Maduro, lui, semble éventuellement disposé à accepter de quitter le pouvoir, mais à condition que la personne qui lui succédera maintienne la continuité — pour reprendre une expression classique, il est prêt à tout changer pour que rien ne change.
Qu’est-ce que Maduro peut céder pour obtenir un tel développement ?
Voilà des semaines que le camp Maduro tente de négocier pour faire baisser la pression. L’un des moyens d’y parvenir est de passer des accords préférentiels avec les entreprises états-uniennes, quitte à desserrer les liens commerciaux avec la Russie et la Chine, lesquels se sont développés ces dernières années.
L’administration Trump semble toutefois ne pas vouloir céder sur le changement de régime. Dans ce contexte, l’administration Maduro a tout intérêt à afficher sa combativité dans sa communication destinée au peuple vénézuélien : cela permet de remobiliser sa base sociale et de transformer le président impopulaire et autoritaire qu’il est en défenseur de la souveraineté vénézuélienne contre l’impérialisme états-unien. Mais on a bien conscience, à Caracas, de l’immense asymétrie des forces militaires. En cas de guerre, le premier budget militaire mondial affronterait le 57ᵉ.
À quel point Maduro est-il impopulaire ?
Selon les procès-verbaux de l’opposition vénézuélienne, lors de l’élection présidentielle de 2024, officiellement remportée par Maduro, il aurait en réalité recueilli 30 % des suffrages. C’est minoritaire, mais ce n’est pas rien ! Pour autant, cela ne signifie pas que 30 % des Vénézuéliens seraient prêts à se battre pour lui, mais il y a sans doute un noyau dur qui adhère vraiment à son discours et pourrait prendre les armes le cas échéant. Nicolas Maduro parle aussi volontiers des « milices bolivariennes » qui regrouperaient selon lui deux millions, voire quatre millions de personnes. Ces chiffres sont sans doute exagérés mais, je le répète, une intervention au sol tournerait probablement au bourbier. (…)
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