25 janvier 2020 : un an après le crime de la Vale, la lutte contre l’impunité et l’injustice se poursuit sans relâche (Françoise Chambeu, FAL)

Depuis un an, inlassablement et avec un courage exemplaire, les populations affectées et les militants du MAB ont poursuivi leurs actions au niveau local, national et international sur tous les terrains : celui des mobilisations mais aussi celui de la lutte juridique et politique, pour faire reconnaître les droits des personnes affectées et exiger, de l’entreprise criminelle et récidiviste VALE, le respect des engagements et des réparations équitables.
La rupture du barrage de Corrego do Feijao à Brumadinho du 25 janvier 2019, intervenue trois ans après celle du barrage de Samarco à Mariana en 2015, avait provoqué 272 morts, des milliers de victimes et des dégâts environnementaux incommensurables dans toute la vallée du fleuve Paraopeba. La population et les militants du MAB (Mouvement des Affectés par les Barrages) l’avaient alors dénoncée comme un crime.
Cette qualification vient d’être confirmée, en décembre dernier, par les commissions spécifiques d’enquête de l’Assemblée législative du Minas Gerais et du Congrès fédéral. Dans leur rapport elles désignent 22 personnes de l’entreprise VALE et de l’entreprise SUD TV (chargée d’une expertise avant le drame) personnellement responsables. Parmi elles , le Président de la VALE, Fabio Schvarsmann, dont l’attitude avait scandalisé le pays et le monde entier en demeurant assis au moment de la minute de silence lors de l’hommage aux victimes au Parlement. Nous nous souviendrons des propos de ce triste personnage qui avait alors qualifié la rupture du barrage d’ « accident » et demandé aux parlementaires de préserver ce « joyau brésilien ». Il s’était d’ailleurs éclipsé de la scène rapidement avec la complicité de la multinationale criminelle VALE en abandonnant ses fonctions . La justice le retrouvera-t-elle ?
En mars 2019 de passage à Paris lors d’une tournée européenne de dénonciation du désastre socio-environnemental , une délégation du MAB avait été reçue à France Amérique Latine et avait participé à des réunions publiques, des émissions de radio (RFI) et de télévision pour alerter l’opinion publique française et les associations de défense des droits humains . Moises Borges et Leticia Oliveira du MAB s’étaient ensuite rendus à Amsterdam et à Barcelone et avaient également été reçus au Parlement Européen à Strasbourg puis par le Haut Commissariat des Nations Unies sur les droits humains à Genève.
Des dommages très graves et mal réparés
Faisant suite à ces actions de dénonciation, en décembre dernier, M. Basket Tuncak, rapporteur des droits humains de l’ONU, s’est rendu sur les lieux du drame à Brumadinho pour entendre les témoignages directs des personnes affectées. Il a pu ainsi entendre celui de Valeria, agricultrice de la communauté de Pastorinha dénonçant la situation des petits agriculteurs de la baie de Paraopeba obligés de « mendier » à la VALE l’aide d’urgence; celui d’Aparecida de Tejuco évoquant les difficultés de ventes des produits agricoles en raison du manque de confiance de la population locale et de la peur de la contamination. Les problèmes graves de santé affectant la population contaminée par les déchets toxiques déversés (problèmes respiratoires et dermatologiques) et les problèmes psychologiques d’une population « à la dérive » affectant principalement les jeunes (taux alarmant de suicides d’adolescents) ont été également largement abordés par la population. Il devra remettre au gouvernement et aux autorités des recommandations et des mesures pratiques à adopter pour la prévention et la réparation des dommages.
Fruit de la lutte et des expériences accumulées par les militants du MAB, de l’organisation et de l’unité des populations affectées – et non de la « bonté » de l’entreprise assassine, comme la VALE tente mensongèrement de le faire croire à l’opinion publique brésilienne grâce à la complicité des médias -, les victimes ont obtenu des réparations partielles et certains droits. Ces conquêtes demeurent insuffisantes et fragiles, sans cesse remises en question par l’entreprise qui utilise des stratégies de division (par des accords individuels) ou se refuse à l’application des accords conclus.
L’élargissement du concept « de personne affectée » constitue une avancée.
Il est désormais reconnu que la population affectée n’est pas seulement composée des familles ayant perdu, dans le drame, des membres de leur famille ou leur maison mais de toute personne déplacée, ayant perdu l’accès à des ressources naturelles comme l’eau potable et les terres , à des activités économiques (comme la pêche en raison de la contamination du fleuve par exemple) ou à des personnes ayant souffert un dommage moral ou un bouleversement de leur système d’organisation sociale et culturelle.
Ce concept élargi est ainsi présent dans le projet de loi 2788 relatif à une politique nationale des droits des populations affectées par les barrages, voté au Parlement en juin 2019, résultat d’une bataille juridique menée par le MAB depuis plus d’une dizaine d’années . Cette base légale représente un pas important mais le vote définitif de la loi et surtout son application dépendra bien entendu de la conjoncture politique et des relations de force établies.
Par contre, en novembre dernier, un recul a été enregistré.
D’une part, la reconnaissance du droit à participation des personnes affectées aux décisions prises les concernant a été remise en question. Lors d’une audience tenue à huis clos au Tribunal de Justice en novembre dernier, des décisions relatives à la reconduite des aides d’urgence après le 25 janvier 2020 ont été prises sans les intéressés ou leurs représentants . Or, pendant cette séance, si la prorogation du paiement intégral pour 108.000 personnes a été accordée pour 10 mois, beaucoup ont appris qu’ils ne recevraient que 50%. Par ailleurs, 35 familles de l’ « asentamento » (campement) « Queima Fogo de la municipalité de Pompeu affectées par la contamination du fleuve ont été rayés de la liste des bénéficiaires d’eau potable.
Cette participation avait été obtenue par la lutte collective au lendemain du drame et il s’agissait, pour les familles affectées, de passer du statut de victime à celui d’acteur, d’avoir directement accès aux informations , de se faire entendre et de transformer leur douleur en revendications et en lutte pour leurs droits fondamentaux.
L’ expertise technique indépendante pose également des problèmes sérieux car malgré l’accord initial , l’entreprise minière VALE tente par tous les moyens de faire obstruction et de gagner du temps empêchant l’accès aux informations et le travail des conseillers techniques désignés.
La vigilance et la résistance sur le terrain sont toujours d’une actualité extrême et les militants du MAB présents dans une quinzaine de municipalités de la région mobilisés.
Marcha dos Atingidos
À l’occasion de la date anniversaire de la tragédie de Brumadinho du 25 janvier, 350 personnes affectées par les barrages réaliseront, entre le 20 et le 25 janvier, une marche depuis Belo Horizonte, capitale de l’État de Minas Gerais Belo jusqu’au lieu du drame. Ils parcourront 300 kilomètres en réalisant dans chaque ville étape des débats et des activités publiques et culturelles pour donner à leur lutte visibilité et légitimité. Le 24 janvier à Betin, la participation de l’ex-président Lula est prévue.

Depuis Paris, à toutes les familles des victimes , à toutes les personnes affectées par les crimes de la VALE, aux militants du MAB et à tous les acteurs de la résistance, nous ne pouvons que réitérer notre solidarité inconditionnelle ainsi que notre admiration et notre respect pour leur courage et leur détermination.
La privatisation tue! L’eau pour la vie et non pour la mort!
Françoise CHAMBEU, Comité Directeur FAL.