🇪🇨 Équateur : trente – et un jours de « paro nacional (CDHAL / Human Rights Watch)


Le 23 octobre, après trente-et-un jours de lutte et de répression qui a fait trois morts et des centaines de blessés, de violations des droits humains et d’arrestations arbitraires, face aux menaces du pouvoir de causer encore plus de violence, pour protéger les communautés, les peuples kichwa d’Imbabura décident de lever les blocages et de poursuivre la résistance sous d’autres formes entre autres en lançant la campagne pour le Non à la consultation du 16 novembre sur la possibilité de réinstaller des bases militaires étasuniennes dans le pays et la modification de la Constitution. Retour sur un mouvement qui fera date.

Hommage à José Guamán Izama, comunero kichwa de Cachiviro tué par balle le 15 octobre par l’armée équatorienne. Photo : média alternatif La Raíz

L’Équateur vit quatre semaines de grève nationale sans répit (Nicole Morales, CDHAL / 20 octobre)

Au 26e jour de la grève nationale en Équateur, nous faisons le bilan de ces quatre semaines de mobilisations dans tout le pays contre les politiques imposées par le président Daniel Noboa, telles que la suppression de la subvention sur le diesel. Répression policière et militaire, violations des droits humains, silence de l’État face aux abus des forces de l’ordre, voilà un aperçu du panorama général qui caractérise la plus longue période de grève que le pays ait connue, avec des niveaux de répression jamais vus lors des soulèvements sociaux de 2019 et 2022.

Fresque en hommage à Efraín Fuérez, comunero de Cotacachi, tué par balle le 28 septembre par l’armée équatorienne

Dans le contexte de la grève nationale, le 15 octobre, l’Équateur s’est réveillé avec la nouvelle du décès de José Alberto Guamán, un membre de la communauté Kichwa âgé de trente ans, père et agriculteur. Une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux montre José se tenant la poitrine blessée alors qu’il tombe au sol et que ses compagnons lui viennent en aide. Il a été soigné dans une clinique voisine, puis transporté à l’hôpital Eugenio Espejo de Quito où il est décédé. Selon la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (CONAIE), « il a été mortellement blessé par un tir dans la poitrine par les forces armées à Otavalo, lors de la violente répression ordonnée par le gouvernement national ».

Il n’a pas été la seule victime. Rosa Elena Paguí, une femme kichwa de soixante-et un ans et mère de famille, est décédée des suites d’un « arrêt cardiorespiratoire provoqué par l’inhalation de gaz lacrymogènes », indique un communiqué de la CONAIE. Ces deux décès sont survenus après que l’exécutif ait envoyé ce qu’il appelle un « convoi humanitaire » vers Imbabura et les territoires en résistance. Les 14 et 15 octobre, des bombes lacrymogènes ont été lancées et des agressions physiques ont été perpétrées contre des manifestants par les forces de l’ordre, comme le montrent des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.

La Fondation régionale de conseil en droits humains (Inredh) a publié un communiqué préliminaire affirmant qu’« au moins dix personnes ont été gravement blessées, dont une par des armes létales. Des témoignages et des rapports provenant du lieu des faits indiquent que les forces de l’ordre tirent directement sur les corps, notamment au visage, à la tête et à la poitrine ».

Trois décès s’ajoutent à ce mouvement de grève nationale, dont celui d’Efraín Fuerez, père et mari, membre de la communauté Kichwa de Cuicocha. Une vidéo montre le moment où plusieurs personnes le transportent, blessé, tout en fuyant les militaires. On y voit Luis Fueres, l’un de ses compagnons, qui reste au sol à côté d’Efraín. Des militaires sont descendus d’un char pour le frapper afin qu’il abandonne le corps, mais il n’a pas cédé. Le gouvernement n’a pas encore fait de déclaration officielle sur cet événement, qui fait déjà l’objet d’une enquête du parquet, mais selon la CONAIE, Efraín a été « criblé de balles dans la nuit du 28 septembre par les forces armées sur la Panaméricaine Nord ».

367 cas de violations des droits humains, 295 personnes blessées, 205 arrestations documentées et 15 personnes temporairement disparues : tel est le bilan de la grève nationale compilé par l’Alliance pour les droits humains jusqu’à 20 heures le 16 octobre 2025. Mais ce ne sont pas les seuls événements enregistrés pendant cette explosion sociale. Coupures d’électricité à Imbabura, entrée des forces de l’ordre dans des communautés autochtones et des domiciles, suspension de la chaîne communautaire TV MICC, agressions contre des journalistes, arrestations arbitraires comme les 5 de Cañar,  les 9 membres de la communauté Waranka, les 13 d’Otavalo poursuivis pour terrorisme et « transférés arbitrairement dans les prisons d’Esmeraldas et de Portoviejo » selon la CONAIE, sont quelques-unes des violations constatées par les organisations de défense des droits humains.

Le président Daniel Noboa a annoncé la suppression de la subvention sur le diesel le 12 septembre 2025 et a proposé dix-huit mesures de compensation pour les transporteurs, des bons et des aides sociales. Le prix du carburant est passé de 1,80 $ à 2,80 $ le gallon. La mesure prévoit que le prix restera fixe jusqu’en décembre 2025, puis fluctuera en fonction des coûts internationaux, car il sera réglementé par un système de bandes similaire à celui qui régit l’essence Extra et Ecopaís. Global Petrol Prices rapporte que le prix international moyen du diesel atteint 4,10 dollars américains le gallon.

Cette décision fait partie des exigences du Fonds monétaire international (FMI), après que Daniel Noboa ait signé, en mai 2024, un nouvel accord de 4 milliards de dollars américains avec cette entité. Les conditions de l’accord prévoyaient une augmentation des recettes fiscales, la suppression des subventions sur les carburants, la réduction des dépenses publiques et l’augmentation des taxes telles que l’IVA. Cette décision fait partie des exigences du Fonds monétaire international (FMI), après que Daniel Noboa ait signé, en mai 2024, un nouvel accord de 4 milliards de dollars américains avec cette entité. Les conditions de l’accord prévoyaient une augmentation des recettes fiscales, la suppression des subventions sur les carburants, la réduction des dépenses publiques et l’augmentation des taxes telles que l’IVA.

Le diesel est le carburant utilisé par les camions qui transportent des denrées alimentaires et des marchandises, ainsi que par les transports publics. Selon une étude réalisée par l’Observatoire du travail et de la pensée critique de l’Université centrale de l’Équateur, « les familles équatoriennes auront besoin de 103 dollars supplémentaires dans leurs revenus mensuels pour compenser la perte due à l’augmentation du prix du diesel ». Les données de l’INEC montrent que le panier de base atteignait 813,88 dollars par mois en août 2025. Avec la suppression de la subvention, l’Observatoire du travail et de la pensée critique estime que cette valeur atteindra 916,76 dollars par mois. Alors que le salaire de base en Équateur est de 470 dollars et que le ministère du Travail a prévu une augmentation de 16 dollars du salaire de base unifié pour l’année 2026.

Plusieurs organisations sociales et la CONAIE se sont prononcées contre la suppression de cette subvention. « Elles répondent aux intérêts des élites économiques et des organismes financiers internationaux, sacrifiant le peuple et violant le droit à une vie digne. Nous réaffirmons que le mouvement autochtone et social maintiendra la résistance en vertu du droit constitutionnel », a déclaré la CONAIE dans un communiqué le 18 septembre 2025.

Quelques jours avant le début de la grève, le gouvernement a décrété l’état d’urgence et le couvre-feu dans plusieurs provinces du pays le 16 septembre, ce qui a militarisé les rues. Bien que la Cour constitutionnelle ait déclaré inconstitutionnel le décret exécutif 146 et n’ait réaffirmé l’état d’urgence qu’à Imbabura et Carchi, le président a publié un nouveau décret 174 le 4 octobre, qui a appliqué l’état d’urgence pendant 60 jours dans les provinces de Pichincha, Cotopaxi, Tungurahua, Chimborazo, Bolívar, Cañar, Azuay, Orellana, Sucumbíos et Pastaza.

En outre, la CONAIE a dénoncé le blocage des comptes bancaires de dirigeants et d’organisations régionales et locales. De même, des organisations sociales ont exprimé leur rejet du blocage des comptes bancaires collectifs et personnels de plusieurs leaders sociaux, autochtones, défenseurs de l’eau, avocats et écologistes. Selon leurs déclarations, les banques leur ont répondu qu’il s’agissait d’un « ordre de l’État ». Cette mesure s’appuie sur un article de la loi sur les fondations soumise par l’exécutif à l’Assemblée, qui établit une « mesure administrative exceptionnelle de gel des fonds » afin de lutter contre le blanchiment d’argent et les fonds illicites.

Lorsque les gens sont descendus dans la rue et que les premiers barrages routiers ont été érigés, le déploiement militaire et policier a réprimé les manifestations sociales dans plusieurs secteurs et fait des centaines de détenus. Pour Vivian Idrovo, avocate féministe et membre de l’Alliance pour les droits humains, l’action des forces de l’ordre révèle un schéma récurrent dans les arrestations et en est un exemple. « Le 22 septembre, Gina Cahuasquí a été arrêtée à Otavalo après avoir tenté de mettre un frein à l’agression brutale de la police, qui l’a fait disparaître avec 20 autres personnes, dont des mineurs. Ils réapparaissent ensuite pour être jugés. Mais pendant plusieurs heures, la famille ne savait pas où ils se trouvaient, ils n’ont pas été autorisés à contacter un avocat de confiance, et lorsqu’ils réapparaissent, ils disent avoir été battus, mais les examens médicaux ne le confirment pas », explique l’avocate. (…)

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Réponse abusive aux manifestations (Human Rights Watch / 21 octobre)

La police et les forces de sécurité équatoriennes ont restreint la liberté de réunion et ont parfois fait usage d’une force excessive dans leur réponse aux manifestations antigouvernementales depuis la mi-septembre, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. 

Répression lors d’un rassemblement antigouvernemental à Quito, en Équateur, le 12 octobre 2025. Des manifestations ont éclaté après l’annonce, le 12 septembre, de mesures économiques dont l’une a provoqué la hausse du prix du diesel. Le 16 septembre, le président Daniel Noboa a proclamé l’état d’urgence dans plusieurs provinces, et autorisé le déploiement des forces armées face aux manifestants. © 2025 Reuters/Karen Toro

Depuis le 18 septembre, la principale organisation autochtone du pays organise des manifestations à la suite de la décision du président Daniel Noboa de supprimer les subventions portant sur le diesel. Si certains manifestants ont recouru à la violence, la plupart des rassemblements ont été pacifiques. Le gouvernement a réagi en déployant l’armée, qui a fait usage d’une force excessive à plusieurs reprises contre les manifestants. Le gouvernement a accusé les manifestants de « terrorisme » et a gelé les comptes bancaires de groupes et de dirigeants environnementaux et autochtones.

« Le gouvernement équatorien devrait respecter les droits des manifestants, et répondre aux griefs qui poussent régulièrement les Équatoriens à descendre dans la rue », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les manifestants qui commettent des actes de violence doivent faire l’objet d’enquêtes, mais cela ne justifie pas de stigmatiser les autres manifestants ou de recourir à une force excessive. »

 Human Rights Watch a vérifié quinze vidéos de manifestations montrant des soldats ou des policiers dispersant de force des manifestations pacifiques et utilisant sans discernement et de manière imprudente des gaz lacrymogènes et d’autres armes dites « à létalité réduite ». Les chercheurs ont également examiné des documents officiels suspendant un média et ouvrant des enquêtes contre des défenseurs de l’environnement et des personnes autochtones. Ils ont également sollicité les commentaires des ministères de l’Intérieur et de la Défense concernant les allégations de recours excessif à la force et de décès liés aux manifestations. (…)

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Photo : CONAIE

Pour rappel, voir :
Chasse aux sorcières contre les dirigeant·es et militant·es des mouvements sociaux (Correspondencia de Prensa/ Traduction Inprecor / fr.esp.) (21 octobre)
La grève nationale en Équateur : la lutte d’un peuple entre le racisme et la défense de la vie (Renata Lasso, femme migrante équatorienne en France. fr.esp.) (21 octobre)
Le conflit social et la répression secouent l’Équateur (une analyse de Anahi Macaroff/ Traduction par FAL, fr.esp.) (16 octobre)
« Paro nacional » 2025. Mobilisations et répression en Équateur (revue de presse) (2 octobre)
Répression en Équateur : solidarité avec les communautés indigènes et les mouvements populaires (communiqué de France Amérique Latine / fr.esp.) (30 septembre)