🇧🇷 En Amazonie, les terres des descendants d’esclaves accaparées par de riches propriétaires (Raphaël Bernard / Reporterre)


Près de Belém, hôte de la COP30, des communautés fondées au XIXe siècle par des esclaves en fuite sont aujourd’hui victimes d’agressions, de menaces de mort et de corruption. Derrière ces violences : une agro-industrie dévorante.

À Providência, près de Belém, des communautés fondées il y a près de 200 ans par des esclaves en fuite sont aujourd’hui victimes de l’agrobusiness. © Damien Cuviller / Reporterre

L’histoire est digne d’un mauvais western. En 2023, Antonio Carlos Lima, dit Toninho, partait inspecter un des champs de manioc, pastèques et potirons que cultive sa communauté de Providência. Le village, situé à deux heures de bateau de Belém sur l’île de Marajó, à l’embouchure du fleuve Amazone, fait partie de la quinzaine de quilombos de la région de Salvaterra. Des communautés fondées il y a près de 200 ans par des esclaves déportés d’Afrique, fuyant le travail forcé des plantations.

Sur le chemin, un homme a interpellé Toninho, a posé une carabine sur son visage et lui a donné sept jours pour abandonner ce lopin de terre. Assis sur une chaise en plastique, à l’entrée de sa maison, il se remémore la suite de la scène, le regard dépité : « Je lui ai dit que l’affaire était devant les tribunaux. Il m’a rétorqué que si je parlais encore une fois de justice, il m’éclaterait la cervelle. »

À la racine de ce déchaînement de violence se dresse une agro-industrie à l’appétit dévorant. De riches propriétaires de fermes tenteraient d’accaparer ces bourgs vulnérables, pour étendre un peu plus encore leurs cultures intensives de riz, de soja et de maïs. Y compris par la force. De nombreux récits semblables à l’agression racontée par Toninho hantent ainsi les habitants, délaissés par les pouvoirs publics.

À quelques kilomètres de là, dans le quilombo voisin de Rosário, Claudeth Sousa de Assuncão, elle, a bien cru mourir lorsqu’un tracteur a tenté de l’écraser volontairement. Elle prenait des photos pour documenter la violation d’une décision de justice, qui interdisait l’utilisation d’une route, construite sur leur territoire en toute illégalité.

« On vit dans la peur constante, raconte cette trentenaire, mère de deux enfants. J’ai fait mettre des barreaux à mes fenêtres. » Elle habite un village d’une centaine de familles, où tous se connaissent, à plus d’une demi-heure de route du premier bourg.

Toninho et sa fille Crislane n’ont presque plus de terres. © Raphaël Bernard / Reporterre

Sa funeste ambition se traduit déjà dans le paysage. Providência est entièrement encerclé de champs ras et entièrement déboisés, qu’il faut traverser sur des kilomètres pour arriver aux premières habitations. « Il ne nous reste plus qu’une tarefa [unité de mesure équivalant à 3 km² de superficie] pour cultiver du manioc, précise Crislane Francisca Pinheiro Lima, fille de Toninho. Désormais, nous cultivons pour d’autres quilombos, qui nous prêtent un peu de leurs terres. »

En une petite quinzaine d’années, tout leur mode de vie — basé sur des traditions ancestrales — a été fragilisé. Quand ces communautés ne sont pas empêchées par des hommes armés d’accéder aux cours d’eau, les pesticides prennent le relais. Répandus sur les champs par avion ou par drone, ces produits chimiques s’infiltrent jusqu’à atteindre les rivières… empêchant dès lors les quilombolas de pêcher ou cueillir les baies d’açaï, constituant la base de leur alimentation.

Tronçon d’une route illégale à Providência. © Raphaël Bernard / Reporterre

À Providência, les habitants estiment que même sans consommer les aliments contaminés, ces pesticides nuisent gravement à leur santé. Le 4 mars 2024, en fin de journée, le village a notamment été brusquement envahi par une forte odeur chimique. Se retrancher aussitôt dans les maisons n’y changea rien : migraines et diarrhées s’invitèrent dans la communauté.

« Cinq jours après cet épisode, une voisine enceinte a commencé à saigner sans explication, se souvient Crislane, d’un ton rageur. On a appelé une ambulance, mais deux heures plus tard… toujours rien. » La décision fut alors prise d’emmener la victime à Belém, à l’aide d’un véhicule prêté par les villageois d’un quilombo adjacent. « Quand elle est arrivée, son fœtus de cinq mois était déjà mort », poursuit-elle. Les examens toxicologiques ayant eu lieu qu’une vingtaine de jours plus tard, le lien direct avec l’épandage des pesticides n’a pu être prouvé officiellement. (…)

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