Petit à petit, l’Amérique latine cède aux sirènes de l’extrême droite (entretien avec Bernard Duterme du CETRI / RTBF)
En quelques années, le Chili est passé d’un élan progressiste historique à une percée de l’extrême droite. Un basculement qui s’inscrit dans une dynamique plus large : sur une partie du continent, des leaders radicaux séduisent de plus en plus un électorat lassé par les crises à répétition.

Bernard Duterme du CETRI / Centre tricontinental répond aux questions d’Estelle Falzone dans l’émission Ici Le Monde sur les ondes de la RTBF.
Le Chili, du progressiste au conservateur
En 2020 et 2021, le Chili surprend. Une majorité de citoyens soutient l’écriture d’une nouvelle Constitution avant-gardiste, reconnaissant les droits des femmes, des minorités, des peuples autochtones ou encore de la nature. « Aux lendemains du soulèvement social de 2019, les électeurs et électrices chiliens ont très majoritairement jeté les bases d’un processus de réécriture de la Constitution nationale, dans une perspective très progressiste, même révolutionnaire », rappelle Bernard Duterme, chargé d’étude au CETRI.
Mais un an plus tard seulement, ce texte est rejeté, et le pays bascule vers un autre extrême. L’extrême droite s’impose, portée par un discours sécuritaire et identitaire qui a trouvé un fort écho dans la population. Pour Bernard Duterme, la droite chilienne a mené une offensive efficace en « agitant les peurs et qualifiant la Constitution de wokiste », le tout soutenu par les médias conservateurs.
Le Chili présente aussi une spécificité, ouverte ces dernières années : la question migratoire, avec l’arrivée de près de 500 000 migrants du Venezuela, plongé dans une crise économique majeure. Elle y a été directement associée à la hausse de l’insécurité. Ce discours, constamment relayé dans le débat public, a contribué à confirmer lors du premier tour de l’élection présidentielle la popularité du candidat d’extrême droite, José Antonio Kast. Il est en passe de battre la candidate communiste Jeanette Jara au deuxième tour, qui se déroulera en décembre.
L’Amérique latine face à une montée de l’extrême droite
Le Chili n’est pas un cas isolé. Même si le continent n’est pas traversé par un raz-de-marée, l’extrême droite prend de plus en plus de place sur la scène politique de la région. Depuis la fin du boom des matières premières en 2015, l’Amérique latine connaît une succession d’alternances « gauche-droite » au rythme des crises économiques et sociales. Cette période marquée par la stagnation, la récession et l’impact massif de la pandémie a fortement fragilisé les gouvernements de gauche comme de droite.
« Les équipes sortantes sont systématiquement sanctionnées », analyse Bernard Duterme. La déception face à des démocraties jeunes et jugées inefficaces — notamment en matière de pouvoir d’achat, de corruption ou de sécurité — ouvre la voie à de nouvelles figures. « L’électorat donne sa confiance à des figures de rupture, des outsiders qui rejettent la classe politique traditionnelle », poursuit-il.
Dans plusieurs pays, ces outsiders proposent des solutions radicales : méga prison et incarcérations de masse au Salvador avec Nayib Bukele, virage sécuritaire extrême en Équateur avec Daniel Noboa, rhétorique libertarienne outrancière de Javier Milei en Argentine, sans oublier l’ère Bolsonaro au Brésil. La montée de l’extrême droite est aussi alimentée par deux lames de fond : la croissance spectaculaire des Églises évangéliques, souvent ultraconservatrices, et la militarisation/le militarisme, qui confient aux armées des missions toujours plus larges en matière de sécurité. (…)
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