Amérique latine : En migrations de crise (Jean-Jacques Kourliandsky / Espaces Latinos)
Le maelström migratoire mondialisé bouscule les Amériques. Au point d’imposer ses priorités dans l’agenda diplomatique. Deux « sommets », l’un le 20 octobre 2021 à Bogotá, l’autre le 3 décembre à Mexico, ont mobilisé les chancelleries d’outre Atlantique.
Quinze ministres latino-américains, représentant le nord et le sud du continent ont rencontré dans la capitale colombienne leurs homologues du Canada et des États-Unis. Onze étaient présents à Mexico pour assister à la 26ème réunion des pays membres de la Conférence régionale sur les migrations. Réunions accompagnées dans les deux cas par les agences compétentes de l’ONU. L’organisation rapprochée de ces conférences a un caractère d’autant plus extraordinaire que diverses structures intergouvernementales permanentes travaillent ces questions depuis longtemps, en particulier la Conférence sud-américaine sur les migrations, la Conférence régionale sur les migrations, et le Processus de Quito.
Les chiffres, il est vrai, alertent haut et fort, et se jouent des frontières. Venezuela et Honduras occupaient respectivement en 2020 la quatrième et la cinquième place mondiale des pays émetteurs de déplacés selon le rapport annuel réalisé par le Conseil norvégien des réfugiés (NRC). Cinq millions de Vénézuéliens auraient quitté leur domicile pour se rendre à l’étranger entre 2014 et 2020. Les données pour le Honduras font état dans le même document de plusieurs dizaines de milliers de personnes ayant abandonné leur pays. Parfois en caravanes pédestres spectaculaires. Haïti et Cuba ont en 2020 et 2021 gonflé le nombre des migrants ayant quitté leurs foyers.
Les États d’accueil ou de transit sont débordés par l’afflux. Le Chili accueillait 1 400 000 migrants en situation régulière en 2020. Deux fois plus qu’en 2017. Migración Colombia a signalé en octobre dernier une hausse des entrées irrégulières de 2210 %. 1,8 million de Vénézuéliens résideraient en 2021 en Colombie. Fin septembre, début octobre 2021, près de 20 000 Haïtiens tentaient de passer le cours d’eau séparant la Colombie du Darien panaméen. Les personnes réfugiées au Costa Rica depuis 2014 doublent chaque année. Le Mexique gère plus ou moins bien les milliers de personnes échouées à Tapachula-Chiapas, au sud, et Tijuana au nord. 90 314 demandes d’asile ont été déposées par certains d’entre eux de janvier à octobre 2021. Elles étaient 41 509 en 2020. Les autorités panaméennes ont signalé la mort de près de 500 migrants irréguliers dans la forêt du Darien de janvier à octobre 2021. Entre 70 000 et 115 000 personnes auraient transité pendant la même période dans cette région inhospitalière, chiffre équivalent en dix mois à celui comptabilisé entre 2015 et 2020.
Les conférences signalées abondent en projets centrés sur l’humanitaire et le traitement des causes à l’origine des migrations. Il y a urgence. Sur le terrain on note une montée des réactions de rejet, au Brésil, au Chili, en Colombie, au Costa Rica, au Pérou. Des camps de réfugiés sont dévastés ou incendiés. On voit l’apparition d’un racisme politiquement incarné au Chili par le candidat aux présidentielles du 19 décembre 2019 José Antonio Kast. L’un des bastions, au premier tour, du candidat d’extrême droite, se trouve au nord du pays, porte d’entrée des migrants les plus démunis.
Pourquoi ces départs de plus en plus fréquents ? Et pourquoi touchent-ils directement ou indirectement autant de pays ? Il n’y a pas de raison principale. Mais plusieurs qui finissent par se croiser gonflant leurs effets migratoires d’un bout à l’autre du sous-continent : la pandémie du coronavirus, aux conséquences sociales amplifiées par un mal développement chronique, les catastrophes naturelles, -cyclones en Amérique centrale, tremblement de terre en Haïti-, la réalité d’États, comme Haïti, le Honduras, affaiblis par des groupes délinquants ou des oppositions armées, celle d’États débordés, comme le Venezuela, par la conjoncture internationale, celle de gouvernements irresponsables qui priorisent parfois de façon violente leur perpétuation au pouvoir, comme au Brésil, au Nicaragua et au Venezuela, et enfin celle de ceux soumis, de surcroit, à des sanctions économiques et financières internationales dévastatrices, comme Cuba et le Venezuela. (…)
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