En Amérique latine, le pouvoir politique se féminise en trompe-l’œil (Caroline Renaux / RFI)
Contournement des quotas, répartition genrée des mandats, stéréotypes sur les candidates… Si l’Amérique latine est régulièrement présentée comme un modèle en termes de féminisation du pouvoir, la région semble avoir encore du chemin à faire avant de laisser les femmes au pouvoir.
« Pour la première fois en deux cents ans de république, je deviendrai la première femme présidente du Mexique. » Sourire franc et queue-de-cheval impeccable, Claudia Sheinbaum triomphe de l’élection présidentielle du dimanche 2 juin 2024 avec près de 58 % des voix face à sa rivale Xóchitl Gálvez. Au terme d’une campagne 100 % féminine, l’ancienne maire de Mexico rejoint ainsi les rangs des nombreuses femmes ayant dirigé un pays d’Amérique latine, comme Cristina Kirchner en Argentine (2007 – 2015), Dilma Rousseff au Brésil (2011 – 2016), ou Dina Boluarte, présidente du Pérou depuis le 7 décembre 2022. À ces États s’ajoutent encore la Bolivie, le Chili, le Costa Rica, l’Équateur (seulement pour deux jours), le Honduras, le Nicaragua, le Panamá et le Salvador.
La région, régulièrement acclamée pour le rôle qu’y jouent les femmes en politique, est également celle comptant le plus de femmes dans ses Parlements. Selon les chiffres de l’Union interparlementaire, 36,6 % de femmes y occupent un siège en 2024 – Caraïbes inclus –, contre 26,9 % au niveau mondial. Du reste, en 2024, plus de 22 % des présidents de Parlement dans la région sont des femmes, tout comme un tiers des ministres et près d’un vice-président sur deux. « Ils ne se contentent pas d’intégrer seulement quelques femmes dans l’espoir de légitimer superficiellement la domination des hommes », félicite Lissell Quiroz, professeure d’études latino-américaines à CY Cergy Paris Université ayant dirigé l’ouvrage Féminismes et artivisme dans les Amériques.
À coups de quotas et de lois sur la parité
Ce bilan, d’apparence flatteur, est le fruit de l’introduction de quotas de femmes parmi les candidats aux élections à partir des années 1990, à commencer par l’Argentine en 1991. S’ensuivent alors de nombreux pays, comme le Paraguay, le Brésil ou la République dominicaine, puis onze autres qui ont depuis troqué leurs quotas pour des lois sur la parité. Aujourd’hui, le Guatemala est le seul qui n’ait pas adopté de quotas de genre. « Il y a eu un changement culturel après la vague de démocratisation des années 1980 et 1990 où plusieurs gouvernements de gauche ont poussé pour plus d’égalité dans la législation, notamment en créant des ministères de la Femme et en instaurant des quotas », explique Maxine Molyneux, professeure de sociologie à l’University College London (UCL) et spécialiste des politiques du féminisme latino-américain.
Pour Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du programme Amérique latine et Caraïbes, ces lois sont aussi le résultat d’une « profonde féminisation des sociétés », pourtant encore largement machistes. « Il s’y joue une véritable mutation démographique, puisque désormais les femmes sont majoritaires et ont eu accès à l’éducation supérieure comme jamais à partir des années 2000 », détaille l’auteur de Géopolitique de l’Amérique latine. Vingt ans plus tôt, seulement un législateur sur six en moyenne était une femme dans les Assemblées et les Sénats de la région.
Une répartition genrée des postes
Pourtant, à y regarder de plus près, ce profil de bon élève en matière de représentation des femmes en politique est souvent mis à mal. Au niveau local, où se trouve la gestion quotidienne d’un certain clientélisme, la promesse d’une inclusion se gâte : d’après l’Observatoire pour l’égalité de genre en Amérique latine et aux Caraïbes (ECLAC), en 2023, seulement 15,4 % de femmes sont à la tête des mairies.
Si le Pérou, Cuba, le Costa Rica et le Mexique ont atteint un pourcentage élevé de femmes dans les conseils élus (plus de 40 %), seule la Bolivie peut se vanter d’une parité à l’échelon local. Le Panamá, le Guatemala et le Brésil ont quant à eux les pourcentages les plus faibles. « Dès qu’il y a une instance de pouvoir effectif, comme dans les mairies, les hommes s’en saisissent pour créer leur territoire de domination, peste Lissell Quiroz. En revanche, sur des charges plus symboliques, comme celle de conseillère régionale, là, on peut les ouvrir à des femmes. »
Dans les cabinets exécutifs latino-américains, la politique a là aussi un sexe. Selon les rapports de plusieurs chercheuses, la répartition des postes y est « genrée » et les fonctions régaliennes restent largement dominées par les hommes. À eux, les portefeuilles d’économie, des affaires étrangères et de la défense, et aux femmes, les questions sociales et d’éducation. « La seule fois où cela ne s’est pas vraiment produit, c’est sous Michelle Bachelet [présidente du Chili de 2006 à 2010 puis de 2014 à 2018, NDLR], regrette Maxine Molyneux. En 2016, son gouvernement a nommé des femmes à des postes de haut niveau et pas seulement à des postes dits genrés. » En mars 2022, sous Gabriel Boric, le cabinet présidentiel chilien est ensuite devenu le premier dans l’histoire du pays à compter plus de femmes que d’hommes (14 contre 10). (…)
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