Argentine. Comme sous la dictature, l’État fait disparaître un militant pro-Mapuche (par Ciro Tappeste)

Santiago Maldonado, jeune militant pro-Mapuche, a été enlevé par la gendarmerie au cours d’une violente opération à l’encontre de la communauté mapuche de Cushamen dans la province du Chubut, en Patagonie argentine. Comme pendant la dictature, les forces de répression enlèvent les militants et depuis le 1er août, personne ne sait où il se trouve. Une situation des plus inquiétantes qui met en lumière le sort qui est réservé aux communautés mapuches qui luttent, des deux côtés de la Cordillère, contre les grands propriétaires terriens et les compagnies minières.

Cela fait plusieurs mois que les zones d’Esquel, Bariloche et El Bolsón, en Patagonie, sont militarisées. Les forces de répression locales et nationales, sur ordre du gouvernement fédéral, mènent une véritable guerre contre les communautés Mapuche, l’un des peuples originaires de la région, qui s’opposent aux puissants qui occupent leurs territoires ancestraux. Le 31 juillet, une manifestation était organisée devant la Cour fédérale de Bariloche pour demander la libération du Lonco Facunod Jones Huala, chef coutumier de Cushamen, arrêté fin juin et menacé d’extradition vers le Chili voisin où il est poursuivi pour « terrorisme ».

Le lendemain, le 1er août, un détachement de 90 gendarmes a pénétré sur le territoire mapuche de Cushamen, tirant à balles réelles contre les habitants, pour faire cesser des barrages routiers sur la route n°40 et procéder à l’arrestation de militants susceptibles de faire partie de la Résistance Ancestrale Mapuche (RAM), organisation qualifiée de terroriste par Buenos Aires. Les habitants du lof, la communauté villageoise, ont fui pour se réfugier au-delà d’une des rivières qui coule sur le territoire.

Crédit photo : La Izquierda Diario -Argentine

Santiago Maldonado, âgé de 28 ans et originaire de Buenos Aires, sympathisant des réseaux de solidarité avec les Mapuches, n’a pas pu traverser le cours d’eau, ne sachant nager. Il a été localisé par les gendarmes dans des buissons où il était caché, près de la rivière. Violemment frappé, il a été transféré par la suite à bord d’un de leurs véhicules. Depuis lors, cependant, les autorités refusent de reconnaître qu’il a bien été arrêté par la gendarmerie.

Il est « disparu ». La ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich (droite), après avoir qualifié les groupes de résistance mapuches d’anarchistes, a même soutenu qu’il n’était pas sûr que Maldonado ait été présent sur place au cours de l’opération de police, ayant recours aux mêmes arguments que la dictature argentine lorsque les militants étaient enlevés puis assassinés à l’époque des généraux.

Les témoins oculaires comme les relevés téléphoniques prouvent que Maldonado était bien présent, le 1er août, et qu’il a été enlevé par la gendarmerie. Pour le défenseur des droits de l’Homme Prix Nobel de la Paix argentin, Adolfo Pérez Esquivel, il ne fait aucun doute que les responsables de cette disparition sont « le président Macri et sa ministre, Patricia Bullrich ». Le gouvernement, lui, fait la sourde oreille et soutient la gendarmerie, même si l’affaire commence à faire du bruit, en dépit du black-out médiatique et d’une justice qui refuse de mener réellement l’enquête pour faire toute la lumière sur les circonstances de l’enlèvement.

Les Mapuches s’opposent, des deux côtés de la cordillère des Andes, aux grands propriétaires terriens, les anciens comme les nouveaux, qui les ont chassés de leurs territoires, ainsi qu’aux compagnies pétrolières et minières dont les activités d’exploration et de fracking (exploitation des ressources pétrolifères par fracturation) se sont intensifiées au cours des dernières années. En Argentine, c’est notamment contre Benetton, le géant du prêt-à-porter qui possède des élevages immenses dans la région, que s’opposent les groupes de résistance mapuches. La RAM est également intervenue, dernièrement, contre les propriétés que possède en Patagonie le basketteur argentin Emanuel Ginobili.

Les conflits agraires sont encore plus intenses, côté chilien, où deux militants ont été tués depuis le début de l’année dans le cadre d’occupation de terre. C’est la raison pour laquelle le Lonco Facundo Jones Huala est poursuivi : le militant mapuche, âgé de 31 ans, est accusé par le Chili d’être à l’origine d’un incendie contre une grande propriété à Pisu-Pisué, dans la région Los Ríos, en 2013. Un mandat d’arrêt international pour terrorisme a été délivré contre lui et c’est le 27 juin dernier, le même jour que la dernière rencontre entre Michelle Bachelet (présidente chilienne, soutenue par le PS et le PC) et Mauricio Macri (droite) que Huala a été arrêté. Il est depuis incarcéré dans l’Unité Pénitentiaire 14 d’Esquel. L’ensemble des organisations solidaires de la lutte des Mapuche, dont les élus et responsables du Front de Gauche et des Travailleurs (FIT) d’Argentine réclament sa libération, revendication à laquelle s’adjoint maintenant celle de la réapparition, sain et sauf, de Santiago Maldonado

Les procédés auxquels ont recours les autorités argentines pour faire taire la résistance mapuche sont un mélange de « lutte contre le terrorisme » à la sauce Bush et de réactualisation des vieilles méthodes de la dictature. Comme le dénonce Gloria Pages, défenseuse des droits de l’Homme et sœur de militants disparus sous la dictature, ce n’est pas un hasard, sans doute, si le responsable de l’opération contre le Lof Cushamen, Pablo Nocetti, chef de cabinet de la ministre de la Sécurité, est un avocat qui a défendu, ces dernières années, plusieurs anciens responsables de la dictature argentine, accusés de crimes. 
« Pour le Chili, la solution au problème mapuche, a déclaré Huala depuis le centre pénitentiaire d’Esquel, c’est la prison ou la mort ». Côté argentin, le portrait qu’il dresse de la situation n’est pas plus reluisant. « Sous le gouvernement Kirchner, nous avions été réprimés, nos organisations, infiltrées. Aujourd’hui, sous le gouvernement Macri, la situation s’est encore aggravée. Ma détention est illégale et je considère que je suis séquestré par l’Etat ». 
En attendant, et alors que l’Argentine s’apprête à voter dans le cadre des « primaires obligatoires » (PASO) qui doivent définir l’échiquier politique en vue des élections législatives d’octobre prochain, l’affaire Maldonado pourrait devenir une affaire d’Etat. C’est ce que veut étouffer le gouvernement Macri alors que la mobilisation pour la réapparition, sain et sauf, de Santiago, se poursuit.

Ciro Tappeste

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