ARGENTINE – Un village réussit à interdire un mégaprojet minier lors du premier référendum souverain du pays

Le 3 juin Loncopué entrait dans l’Histoire en devenant le premier village argentin à interdire un mégaprojet minier par un vote dont le verdict est souverain. Un combat qui a commencé en 2007.

Loncopué est un village d’à peine plus de 7000 habitants dans la province de Neuquén, au sud de l’Argentine, en Patagonie. Ce village aurait dû rester inconnu mais voilà que ses habitants, alliés aux populations et aux communautés mapuche voisines, ont réussi à expulser non pas une mais deux multinationales minières des environs.

Mais ce qui fait que Loncopué est différent des autres expériences similaires de lutte contre les mines de métaux à ciel ouvert en Argentine, c’est que depuis le 3 juin 2012 il est le premier village qui a réussi à écarter le mégaprojet minier par un référendum souverain. Le plébiscite d’Esquel, en février 2003, a ouvert le débat au niveau national sur les enjeux de l’exploitation minière à ciel ouvert. Celui de Loncopué est le premier dont le verdict est souverain.

Pour que le vote soit validé, il fallait que plus de 50% des inscrits votent. Ni les affiches disant « Ne te laisse pas berner, ne vote pas », ni les patrouilles menaçantes du parti au pouvoir dans la province n’ont empêché que la journée soit une fête. 72% des inscrits ont voté et 82% se sont exprimés en faveur de l’ordonnance qui interdit les mégaprojets miniers sur le territoire municipal.

Ce n’est cependant pas la première victoire de Loncopué contre les mégaprojets d’exploitation minière, mais la troisième.

Adriana Millán travaille à l’hôpital de Loncopué. En 2007, quand elle a vu apparaître dans le village les camions de l’entreprise minière canadienne Golden Peaks, elle n’a pas pu « rester les bras croisés ». L’or d’une des collines voisines avait éveillé l’intérêt de cette multinationale.

Les habitants de Loncopué se sont organisés lors d’une Assemblée qu’ils avaient eux-mêmes convoquée, en s’inspirant de l’expérience d’Esquel. De même que les habitants de Campana Mahuida, à 17 km de Loncopué, et que la communauté mapuche de Mellao Morales.

La campagne contre l’exploitation minière qu’ils ont entreprise a eu des répercutions internationales. « Peu de temps après, l’entreprise canadienne a décidé de se retirer parce que ses actions en bourse avaient commencé à chuter à cause de la mobilisation. Ce fut la première victoire », dit Millán. Cela avait été relativement facile. Surtout par comparaison avec la menace qui se profilait.

Et maintenant… encore plus difficile

La seconde fois, en 2009, l’entreprise n’était plus canadienne mais chinoise. Sous le nom de Exploitations minières S.A., la compagnie a acheté une mine sur la montagne Tres Puntas « pour un prix dérisoire ». D’après les dires de Millán, il n’y a pas eu d’appel d’offre et aucun des mécanismes légaux prévus pour ce genre d’investissement n’a été respecté. « La structure de l’assemblée existait déjà mais nous avons trouvé une différence. Comme il s’agissait d’une entreprise chinoise qui ne dépend pas des cotations en bourse, ils n’ont aucune crainte de l’image qu’ils donnent publiquement. »

Il s’agissait cette fois-ci d’une exploitation de cuivre à ciel ouvert. Elle impliquait, explique Adriano Millán, la construction conjointe d’une unité de production d’acide sulfurique, utilisé pour l’extraction du cuivre. « Ayant eu connaissance du projet, nous savions fort bien ce qu’impliquaient les explosions, toutes proches des terres mapuche et des paysans. La rivière qui passe là est un affluent du fleuve Neuquén et elle allait aussi être polluée. La communauté mapuche allait être sérieusement agressée et déplacée à cause de ces mégaprojets. Le lonko [leader] de la communauté a toujours maintenu une position ferme, en tant que représentant de la communauté pour laquelle cette montagne Tres Puntas est sacrée. »

En tant que professionnel de la santé, Millán expliquait aux habitants les effets nocifs des mines à ciel ouvert sur le corps humain. « Les métaux lourds restent dans l’eau et provoquent un grand nombre de maladies : anémies chroniques, différents types de cancers, problèmes de fertilité… La poussière produite par les explosions génère des allergies, des maladies respiratoires et des problèmes de peau. Sans parler des possibles incidents dérivés de la manipulation de l’acide sulfurique. Pour répondre à tous ces problèmes, il n’y avait pas d’infrastructure dans le village. Alors nous avons dit que nous n’étions pas préparés pour l’épidémie minière. »

Aux difficultés s’ajoutait la complicité du Gouvernement de la province, présidé par Jorge Sapag. « La famille Sapag est de tradition minière. Plusieurs membres de la famille ont des entreprises minières. Le neveu du gouverneur actuel est le président de l’Union des producteurs miniers de Neuquén. Et l’un des frères de Jorge Sapag est propriétaire d’une entreprise d’infrastructures logistiques qui fournit les exploitations minières. »

Cependant, la coordination de toutes les assemblées des villages et des communautés affectées et, surtout, l’union entre les habitants et les Mapuche, ont frustré les plans de l’entreprise minière. Par la voie légale, ils ont réussi à faire annuler les deux premières audiences publiques, étape préalable à l’approbation de tout projet minier. En mars 2009, le jour même où le juge a annulé la seconde audience, « au cas où », les habitants ont convoqué la première grande manifestation. « Nous croyions que nous n’allions être qu’une poignée et nous étions 3000, pour un village de 6000 habitants. Des gens sont venus des autres communautés mapuche et des gens que l’on n’attendait pas. Là le peuple a vraiment pris le pouvoir », se rappelle-t-il.

« Comme si l’Argentine avait gagné le Mondial »

Face à l’opposition croissante au projet, l’entreprise a elle aussi multiplié les actions de propagande. Elle a organisé une fête de la mine, avec même l’élection d’une miss, l’intendant lui-même « a distribué des poulets » dans la communauté mapuche de Mellao Morales. « Ils ont toujours cherché des soutiens auprès des chômeurs et de la communauté mapuche, croyant à tort, qu’ils étaient les plus vulnérables » En même temps ont commencé les menaces comme celles qu’a reçues la radio Arcoiris, une des stations les plus critiques vis-à-vis du projet.

La troisième audience était convoquée pour septembre 2009. Une semaine avant, l’assemblée avait mis en place un blocage de route : les gens connus pouvaient passer mais pas « les fonctionnaires miniers ni les lobbyistes locaux, la plus part des grands propriétaires terriens qui collaboraient avec les propriétaires de la mine ». De son côté, la communauté mapuche bloquait l’autre accès à la mine.

Pendant que des centaines de personnes maintenaient les blocages de routes, un groupe de personnes de l’assemblée, accompagné d’organismes de défense des droits humains, se rendirent à la ville de Neuquén pour s’entretenir avec le président du Tribunal supérieur de justice de la province. Le dossier concernant la supposée vente illégale de la mine était classé depuis plus d’un an. « On a informé le Tribunal de la situation que l’on était en train de vivre, que l’on n’était pas disposés à laisser se dérouler l’audience publique, que le climat était très tendu. Au même moment, des rumeurs circulaient selon lesquelles ils allaient venir avec des briseurs de grève du secteur de la construction et des mineurs. “Nous vous rendons responsables de ce qui peut se passer”, leur avons-nous dit. Et tout cela a été rendu public ».

Le 28 septembre, le tribunal allait se prononcer sur la requête. Un groupe de l’assemblée s’était réuni pour attendre la sentence. « C’est là que nous avons vécu les moments de plus grande angoisse. La nouvelle nous est parvenue quand ils ont commencé à nous appeler et quand, tout d’un coup, le village s’est mis a résonner de coups de klaxons ».

Devant l’évidence des irrégularités, le Tribunal avait décidé de geler le projet jusqu’à la tenue d’un autre procès devant déterminer si la vente avait été légale. « C’était comme si l’Argentine avait gagné le Mondial de football, tout le monde est descendu dans la rue pour s’embrasser, pour fêter l’évènement et ce, pendant les heures de travail. C’est alors que nous avons décidé que la manifestation prévue pour empêcher l’audience aurait lieu le lendemain, mais pour faire la fête. Et ce fut donc une marche de victoire et de joie absolue, avec tous les gens qui nous avaient soutenus ».

Trois ans plus tard, le référendum du 3 juin rend définitive la victoire de Loncopué, Campana Mahuida et Mellao Morales contre les mégaprojets miniers.

- Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3205.
- Traduction de Michelle Savarieau pour Dial.
- Source (espagnol) : Diagonal, 5 juillet 2012.

Notes

[1] Voir DIAL 3170 – « PÉROU – Miguel Palacín : « Il y a cinq ans, il n’y avait pas de mouvement indien ; maintenant nous sommes acteurs » », 3171 – « ARGENTINE – les mères contre l’agrobusiness », 3175 – « BOLIVIE – Felipe Quispe. Le dernier Mallku », 3186 – « BOLIVIE – « Sans les femmes, ils n’auraient pas résisté trois jours » : entretien avec Julieta Paredes » et 3201 – « COLOMBIE – « l’action des mouvements sociaux a été décisive dans la lutte contre l’impunité » : entretien avec Iván Cepeda ».

http://www.alterinfos.org/spip.php?article5680