Au Chili, le milliardaire Piñera revient aux affaires (François-Xavier Gomez/ Libération)
Dimanche 17 décembre, les électeurs chiliens ont confié un mandat de quatre années supplémentaires au richissime Sebastián Piñera, qui a déjà gouverné le Chili entre 2010 et 2014. Sa nette victoire (54,6% des voix contre 45,4%) sur le candidat de gauche, Alejandro Guillier, accentue le virage à droite constaté en Amérique latine depuis 2015.
«Au premier tour, nous avons obtenu moins de votes qu’attendu, et au second tour plus que prévu», s’est réjoui le leader conservateur, dans une allocution prononcée, de façon surprenante, au côté de son rival, qui a promis de diriger «une opposition constructive». Sebastián Piñera, 68 ans, est l’un des hommes les plus riches du Chili, pays qui constitue depuis les années 90 un pôle de stabilité politique et de dynamisme économique dans la région. Le magazine nord-américain Forbes estime sa fortune à 2,3 milliards d’euros. Il a été propriétaire d’une chaîne de télévision, du club de football Colo Colo, et de la compagnie aérienne LAN. En arrivant au pouvoir, en 2010, il avait revendu à contrecœur, et en traînant les pieds, ces trois fleurons de son empire.
Risque de recul sur les libertés acquises
Cet hyperactif, qui assure ne dormir que cinq heures par nuit, se dit passionné d’histoire et grand lecteur. Parmi ses soutiens (et amis) figure l’Hispano-Péruvien Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature. Mais Piñera est aussi célèbre pour ses gaffes. Lors de l’entre-deux-tours, il avait affirmé que nombre de cas d’enfants transgenres «se corrigent avec l’âge», soulevant un tollé. En juin, une plaisanterie sexiste avait provoqué une tempête politique. Dans un meeting, il avait lancé : «Je vous propose un petit jeu, les femmes se jettent au sol et font les mortes, et nous les hommes nous jetons sur elles et faisons les vivants.» «Plaisanter avec le viol, c’est mépriser toutes les femmes», avait riposté la présidente Michelle Bachelet. Un tel profil inquiète par le risque de recul sur les libertés acquises. La socialiste Michelle Bachelet a imposé, dans une société réputée conservatrice, une série de réformes progressistes, dont l’adoption du mariage homosexuel et une dépénalisation (certes limitée) de l’avortement, auparavant totalement interdit. Un test pour le nouveau président, qui entrera en fonction le 18 mars, sera la réforme de la loi dite Zamudio, un texte contre les discriminations. Il porte le nom officieux de Daniel Zamudio, 24 ans, dont le brutal assassinat homophobe avait commotionné la société chilienne en 2012. La loi, jugée trop timide et peu employée, doit être renforcée.
Émergence d’une force de gauche alternative
D’autres réformes sont en discussion, comme celle des retraites, très inégalitaires, ou encore la gratuité de l’éducation, éternel écueil sur lequel ont buté tous les gouvernements depuis le retour de la démocratie. Avec des universités parmi les plus chères d’Amérique latine, les revendications des étudiants ont rythmé la vie politique du pays, et le mouvement a fait émerger une force politique représentée lors de la présidentielle par Beatriz Sánchez, candidate de la coalition de gauche alternative Frente Amplio («Front large»). Son score à plus de 20% a été le fait majeur du premier tour de l’élection.
Le vainqueur de dimanche n’aura cependant pas de majorité au Parlement. Les législatives, organisées lors du premier tour et pour la première fois à la proportionnelle, ont laissé un paysage fragmenté dans les deux chambres. Le futur locataire du palais de La Moneda aura besoin de nouer des alliances avec les autres forces politiques. Le successeur de Michelle Bachelet aura en revanche l’économie avec lui. Après quatre années de croissance ralentie à 1,8% en moyenne, le PIB grimpera de 2,8% en 2018, selon la Cepal, commission économique de l’ONU pour l’Amérique latine.
Cette victoire marque la fin d’un cycle pour une grande partie de la gauche latino-américaine: l’Argentine avec Mauricio Macri, le Brésil avec Michel Temer, le Pérou avec Pedro Pablo Kuczynski, ont désormais des présidents conservateurs.
François-Xavier Gomez
http://www.liberation.fr/planete/2017/12/18/au-chili-le-milliardaire-pinera-revient-aux-affaires_1617469