Brésil. Cuiabá : après la Covid, les fumées… (Marion Daugeard / Institut des Amériques)
Après des mois de confinement, sous une chaleur suffocante à laquelle sont habitués bien malgré eux les cuiabanas et les cuiabanos – quoique cette année ait été marquée par des records, puisqu’il a fait 42,6ºC le 10 septembre 2020, la ville est désormais envahie, depuis près de deux mois, par les fumées provenant de la plus grande zone humide au monde que se partagent (côté brésilien) les États du Mato Grosso (dont Cuiabá est la capitale) et du Mato Grosso do Sul, à savoir le Pantanal. Celui-ci est actuellement la proie des feux, dans des proportions rarement atteintes.
Comme l’illustrent les photos, prises à Cuiabá à divers moments ces dernières semaines, c’est une double crise – sanitaire et environnementale – qu’est en train de connaitre une partie du Brésil (la crise économique n’étant pas loin…). De quoi laisser à penser qu’il faudrait bientôt aussi porter un masque – déjà obligatoire depuis le 13 avril en ville – chez soi…
La Covid-19 à Cuiabá
Les écoles ont été les premières à fermer, par précaution, dès le 13 mars, alors que le premier cas officiel n’a été détecté que 7 jours plus tard. À partir de cette date, des mesures ont été rapidement mises en place, notamment la fermeture des parcs, le contrôle à l’entrée des magasins, la réduction des horaires de fonctionnement, ainsi que des campagnes de vaccination contre la grippe (dont c’était, au Brésil, la pleine saison). En dépit de leurs désaccords récurrents, le maire de Cuiabá et le gouverneur de l’État du Mato Grosso ont privilégié les mesures contraignantes pour éviter une rapide diffusion du virus, et prendre le temps de pallier le manque de lits dans les hôpitaux, notamment en réanimation. Devant le faible taux de contamination constaté jusqu’à fin avril, on a parfois pu penser qu’en raison des fortes températures de la ville Cuiabá, et plus généralement de l’État du Mato Grosso, alors en pleine saison sèche, le climat pourrait constituer une barrière au virus.
La faible contamination a pendant un temps donné raison à ces espoirs, et la pression s’est accrue sur les décideurs pour « flexibiliser » les mesures afin d’éviter les difficultés économiques. Alors que l’Europe se « déconfinait » progressivement, les autorités locales en ont fait autant. C’est pourtant à partir de là que l’État du Mato Grosso, et principalement Cuiabá, a vu le nombre de cas exploser. Le 13 mai 2020, 90 % des lits des unités de soins intensifs (UTI) étaient libres ; fin juin, 100 % des lits étaient occupés. Le reconfinement au bout de quelques semaines n’a pas eu le succès escompté : le nombre de malades est resté en constante progression et le nombre de morts a quadruplé en juillet. Il a fallu attendre la mi-août pour que la situation s’améliore, probablement en raison d’une meilleure détection des cas grâce à la mise en place d’un centre de « triage » sur la pelouse du stade de Cuiabá et l’ouverture de lits dans les territoires ruraux. À la date du 15 septembre 2020, l’État, d’une superficie une fois et demie supérieure à la France et d’une population d’environ 3,5 millions d’habitants (voir carte ci-dessous), comptait 106 895 cas recensés et 3 157 décès : un taux de près de 900 décès par million d’habitants qui classerait le Mato Grosso – s’il était un pays – dans les premières places du classement mondial des pays par proportion de décès.
Un retour à la « normale » sous les fumées
La saison sèche, qui commence d’ordinaire au mois de mai et s’étend jusqu’au mois d’octobre, a commencé très tôt dans la région. Selon l’Embrapa Pantanal, on a observé cette année un déficit de 57 % de la quantité moyenne de pluie. Cette situation a entraîné le démarrage précoce des incendies. L’occurrence des feux n’est pas une nouveauté dans l’État du Mato Grosso : les trois biomes qui le composent brûlent dans des proportions variables chaque année, mais seul le biome Cerrado, composé de formations de savanes, brûle « naturellement », notamment lorsqu’il est atteint par la foudre. L’anthropisation à marche forcée de ces trois biomes, notamment au cours des 40 dernières années, a non seulement entrainé une forte dégradation de la végétation d’origine, mais également rendu les incendies plus fréquents. En dépit des décrets d’interdictions, nombre d’agriculteurs utilisent les méthodes de brûlis pour renouveler leurs pâturages, des pratiques parfois mal maitrisées qui entrainent des incendies. D’autres feux visent à « nettoyer » des zones déboisées ou tout simplement à « ouvrir » de nouvelles zones pour les revendiquer par la suite ; d’autres encore sont liées à des incivilités diverses et variées (mégots de cigarettes par exemple). (…)