🇧🇷 Au Brésil, 68% de la Chambre des députés vote contre l’environnement, les peuples autochtones et les travailleurs ruraux (Autres Brésils)


Alors que l’ancien ministre de l’Environnement Ricardo Salles suggérait de profiter de la pandémie pour faire « passer en force [sur la réglementation environnementale] », au moins 351 députés fédéraux sonnaient la corne de brume. Une plateforme interactive exclusive développée par le journal Repórter Brasil révèle que 68% de la Chambre, soit deux députés sur trois, sont complices du démantèlement socio-environnemental promu par l’administration de Jair Bolsonaro (PL).


Une enquête du Ruralometro sur les “complices de la Destruction”.
La plateforme interactive du journal Repórter Brasil présente la liste des députés fédéraux ayant les pires performances socio-environnementales et montre que la vague bolsonariste de 2018 a renforcé le groupe ruraliste [1] au Congrès [2].
Ruralômetro: 68% da Câmara vota contra meio ambiente, indígenas e trabalhadores rurais
Auteurs : Diego Junqueira, Gisele Lobato et Marina Rossi
Traduction de Marion Daugeard pour Autres Brésils
Relecture : Roger Guilloux


Ces députés ont présenté des projets de loi et voté des modifications législatives qui nuisent au contrôle environnemental, favorisent les activités économiques prédatrices, fragilisent la législation du travail, entravent l’accès aux prestations sociales et freinent la réforme agraire, entre autres reculs signalés par les organisations socio-environnementales.

Ces conclusions font partie du Ruralomètre 2022, une plateforme de données et de consultation sur les activités de la Chambre des députés, développée par Repórter Brasil et qui mesure la “fièvre ruraliste” des parlementaires. Cet outil, qui en est à sa deuxième édition, indique si un député agit positivement ou négativement à l’égard de l’environnement, des travailleurs ruraux, des populations autochtones et des autres populations traditionnelles.

Pour évaluer les députés, 28 votes par appel nominal [4] et 485 projets de loi présentés au cours de la législature actuelle, qui a débuté en février 2019, ont été analysés. Les propositions et les votes ont été classés comme “favorables” ou “défavorables” par 22 organisations spécialisées dans les questions sociales, environnementales et de travail. Chaque député a reçu une note comprise entre 36⁰ C et 42⁰ C – faisant référence à la température du corps. Plus la performance du député est mauvaise, plus sa température est élevée. Des valeurs supérieures à 37,4° C indiquent une “fièvre ruraliste” – ou une action défavorable (voir la plateforme).

Les résultats de l’analyse indiquent l’avancée de la “nouvelle droite” dans l’arène législative et montrent également le pouvoir, à Brasilia, du Front parlementaire pour l’agriculture et l’élevage, connu sous le nom de bancada ruralista, qui détient aujourd’hui une influence sur deux tiers de la Chambre, dans un contexte où le Congrès prend les rênes de l’agenda politique national, en accord avec l’Exécutif. Selon les spécialistes, ce scénario favorise l’approbation de lois anti-environnementales et contraires aux droits sociaux et du travail.

Selon les analystes, le penchant ruraliste de la Chambre était déjà une réalité. L’ancienne présidente de l’Ibama et spécialiste des politiques publiques à l’Observatoire du climat, Suely Araújo, affirme qu’il a toujours été possible d’adopter des lois protectrices, même face à cette majorité ruraliste. Pour cela, cependant, le soutien d’une partie de l’Exécutif pesait. “Mais cela s’est perdu, et le ministère de l’environnement est désormais le premier à soutenir au Congrès le renversement de la protection de l’environnement“, dit celle qui a travaillé pendant 29 ans à la Chambre des députés en tant que consultante parlementaire sur les dossiers environnementaux.

Parmi les reculs approuvés par la Chambre depuis 2019, Kenzo Jucá, conseiller législatif de l’ISA (Institut Socio-environnemental), pointe du doigt trois projets du “paquet de destruction”. Il s’agit du Projet de Loi (PL) 6.299/2002, ou “loi du venin” (qui autorise l’utilisation de pesticides, y compris de ceux dont il est prouvé qu’ils sont cancérigènes, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation de l’Agence nationale de surveillance de la santé du Brésil (Anvisa), du Projet de Loi 2633/2020, connu sous le nom de “loi de l’accaparement des terres ” (qui assouplit l’inspection foncière et facilite l’accaparement des terres publiques), et du PL 3729/2004, ou Loi générale sur les licences environnementales (qui supprime les licences dans certains cas, crée des « auto-licences » dans d’autres, et affaiblit le rôle des agences environnementales). Les trois mesures, qui font partie de la base de données du Ruralomètre, sont en cours de traitement au Sénat.

La députée Joenia Wapichana (Rede-RR, 36,6° C), seule parlementaire autochtone au Congrès depuis plus de 30 ans [5], affirme qu’avec le renforcement de la base ruraliste, les environnementalistes ont été contraints d’être sur la défensive, sans grande marge de manœuvre pour avancer des propositions. “Nous avons tout fait pour éviter un démantèlement total des quelques droits des peuples autochtones



Les rois du rodéo

Au milieu de ce parfait combo, ceux qui se sont le plus distingués par des propositions et des votes considérés comme anti-environnementaux et anti-autochtones sont des députés masculins, élus dans les États de l’Amazonie légale et de la région Sud, ainsi que les représentants de la “nouvelle droite”. Sur les 20 élus ayant les plus mauvais scores du Ruralomètre 2022, 14 en sont à leur premier mandat et 13 d’entre eux sont issus du PL, le parti du président Jair Bolsonaro. Ce sont des parlementaires novices élus dans le sillage du phénomène Bolsonaro en 2018, qui ont dépassé les défenseurs traditionnels de l’agrobusiness dans le démantèlement socio-environnemental.

C’est le cas de Nelson Barbudo (PL-MT, 42º C), le “champion” du classement des parlementaires les plus mal notés. Ses huit projets de loi inclus dans l’enquête ont tous été considérés comme nuisibles à l’environnement.

C’est par exemple le cas du projet de loi qui empêche la saisie et la destruction des équipements impliqués dans des infractions environnementales, et qui conduit à affaiblir les opérations de contrôles, selon Greenpeace. Dans un autre projet de loi, Barbudo a défendu ses propres intérêts en proposant de réduire le plafond des amendes environnementales de 50 millions de R$ à 5 000 R$ – une mesure qui lui est potentiellement bénéfique, puisqu’il doit 25 000 R$ à l’Ibama depuis 2005.

Sollicité par Repórter Brasil, Nelson Barbudo n’a pas commenté le fait qu’il était le plus mal noté. Il a toutefois précisé se définir comme un “conservateur libéral”.

En juillet, Nelson Barbudo a déclaré à la commission de l’environnement de la Chambre des députés que l’État du Mato Grosso était un “modèle de préservation de l’environnement“. “De manière générale, le Brésil a donné une leçon au monde entier en matière d’agriculture durable“, a-t-il dit. Pourtant, les données de l’ Agence nationale de recherche spatiale (Inpe) indiquent que le Mato Grosso a enregistré 5 682 km² de déforestation au cours des trois premières années du mandat de Jair Bolsonaro, soit une hausse de 32 % par rapport aux trois années précédentes (4 294 km²).

Le deuxième député le plus mal noté par Ruralomètre est une exception parmi les nouveaux venus à Brasília : Lucio Mosquini (MDB-RO, 41,3° C) est au Parlement depuis 2015 et est considéré comme un ruraliste traditionnel – il a déclaré aux tribunaux électoraux qu’il possède deux propriétés évaluées à 2,6 millions de R$.

Au cours de cette législature (2018-2022), Lucio Mosquini a été l’auteur du projet de loi 195/2021, qui modifie le Code Forestier afin d’augmenter de 20 à 40 m3/an l’extraction de bois de la réserve légale [6] sans autorisation. Sa justification repose sur le fait que les agriculteurs familiaux ont besoin de bois sur leur propriété, mais les environnementalistes estiment de leur côté que la mesure est susceptible d’encourager la déforestation, et d’alimenter les cargaisons de bois exploité illégalement.

Le troisième député le plus mal noté est Éder Mauro (PL-PA, 40,9 °C), qui se définit comme le “leader du lobby des armes [7] dans la région Nord”. Bien que son travail soit davantage lié à la défense des armes, il s’est fait remarquer en tant que porte-parole des orpailleurs.

Ce député est l’auteur d’au moins deux projets qui fragilisent l’application de la législation environnementale et favorisent l’exploitation minière : le PL 5246/2019, qui permet aux autorités municipales de délivrer des permis environnementaux pour les activités minières (au lieu des autorités fédérales), et le PL 5822/2019, qui autorise l’exploration minière à petite échelle dans les réserves extractives [8]. (…)

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