Brésil: les militaires occupent l’État (Observatoire de la démocratie brésilienne)

L’histoire républicaine brésilienne est, dans une forte mesure, l’histoire de l’influence et de l’intervention des Forces armées dans la vie politique institutionnelle. Composées de trois corps, la Marine nationale, L’Armée de terre et l’Armée de l’air, rares ont été les périodes où elles ont respecté le silence auquel les casernes sont tenues.

Le Président lors de la cérémonie du Jour du Soldat
Photo : Clauber Cleber Caetano / PR

Depuis la fin de la dictature militaire en 1985, un nouvel équilibre institutionnel semblait pourtant avoir repris le pouvoir de tutelle aux Forces armées, leur présence étant restreinte aux affaires de défense, d’intelligence et de contrôle de frontières.

Néanmoins, avec l’investiture de Jair Bolsonaro, ex-capitaine de l’Armée de terre, à la présidence de la République en 2019, les Forces armées semblent être revenues sur la scène politique sans tambour ni trompette. Outre la nomination des militaires en service ou à la retraite à des postes de ministre d’État, l’ex-capitaine a favorisé la nomination de militaires aux postes de deuxième et troisième rang dans les différentes branches du pouvoir exécutif fédéral.

Le coup d’État parlementaire de 2016 et le retour des militaires

Le coup d’État de 2016 et la crise politique qui s’en est suivie ont propulsé sur la scène nationale Jair Bolsonaro, ancien capitaine de l’Armée de terre à la retraite, seulement connu jusque-là pour ses déclarations haineuses. Les élections présidentielles de 2018 qui le placent à la Présidence de la République sont également l’occasion pour Hamilton Mourão, général quatre étoiles, lui aussi de l’Armée de terre à la retraite, d’occuper la Vice-présidence.

Depuis son investiture, le nouveau gouvernement a entamé une accélération disproportionnée du remplacement des « civils » par des militaires en uniformes, soient-ils en service actif (y compris en disponibilité) ou en service de réserve. C’est cette ‘militarisation de l’administration publique que Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), a pointé du doigt lors de son discours d’ouverture au Conseil des droits humains des Nations unies, en septembre 2020.

Ainsi, fin 2020, 10 des 23 ministres d’État étaient de formation militaire. La nomination du général Walter Souza Braga Netto comme ministre de la Casa Civil, en février 2020, vient définitivement militariser l’ensemble des hautes fonctions de l’Exécutif et des principaux cabinets de la Présidence.

Cette évolution n’est pas anodine : le ratio de militaires-ministres sous Jair Bolsonaro équivaut à celui de Costa e Silva (1967-1969), l’instigateur de l’Acte Institutionnel n°5 et dépasse le ratio des trois derniers dirigeants de la dictature militaire ayant sévi dans le pays de 1964 à 1985 – Emílio Garrastazu Médici (1969-74), Ernesto Geisel (1974-79) et João Figueiredo (1979-85) – ne restant que derrière Castelo Branco, dictateur entre 1964-1967 et sous lequel le premier gouvernement de la dictature civilo-militaire, avait compté douze militaires ministres.

L’Académie Militaire des Aiguilles Noires

Le Président, son Vice-président et cinq ministres ont commencé leur carrière au même endroit, à l’Académie Militaire des Aiguilles Noires (AMAN), située à Resende dans l’Etat de Rio de Janeiro. Seule école de formation de l’Armée de terre brésilienne pour les officiers combattants de carrière, l’AMAN est l’une des plus anciennes institutions brésiliennes, héritière de la Real Academia Militar, créée en 1810 par Dom João VI.
A ce jour, l’auditorium principal de l’Académie porte le nom du général Emílio Garrastazu Médici, qui a présidé le Brésil, durant ce que l’on appelle les années de plomb, de 1969 à 1974. C’est dans cette période que se forme le noyau des généraux de Bolsonaro, lui-même cadet de la classe 1977.
Pour cette génération, le coup d’état militaire de 1964 avait été nécessaire pour arrêter l’alignement du gouvernement de João Goulart sur le bloc soviétique. S’inscrivant dans un processus historique, le coup d’état de 1964 serait une révolution menée par les Forces armées pour sauver le Brésil du danger communiste. Ils se sont véhément opposés aux travaux de la Commission de la Vérité (instaurée par la Présidente Dilma Rousseff entre 2011 et 2014) cherchant justice et vérité pour les tortures, assassinats et attaques aux libertés civiles pendant la dictature militaire.

Les Forces armées au sein de l’administration publique fédérale

Le retour des militaires au sein de l’Exécutif s’est amorcé avec le coup d’état de 2016 et l’arrivée de Michel Temer à la tête du pays.

Selon les données recueillies par le journal Folha de São Paulo auprès des ministères de l’Economie et de la Défense, entre la fin des années 1990 et 2016 [5], la présence militaire au sein de l’État était presque entièrement limitée à trois organes : la Défense (sous les commandes de différents ministres civils pendant toute la période), les équipes de la Présidence et de la Vice-présidence et la présidence de la République, plus précisément le Cabinet de la sécurité institutionnelle (GSI), chargé de la sécurité des mandataires.

Ainsi, en janvier 1999, 1 137 militaires des trois corps d’armée étaient affectés à des postes-clés au sein de l’Exécutif. Sous la direction de Fernando Henrique Cardoso, la présence des militaires au sein du bureau du procureur général de l’Union était minime. Au cours de son deuxième mandat, il a augmenté de 5 % le nombre d’officiers au sein du GSI, de la Vice-présidence et de la Défense. A son tour, Lula a augmenté le nombre de ces postes vacants de 19 %, en réservant 1 421 dans les trois organes à la fin de ses deux mandats, en 2010.

Sous le gouvernement de Dilma Rousseff, entre 2011 et 2016, le pays va voir une augmentation de 29 % du nombre de postes occupés par des militaires. Cette augmentation est justifiée par la création d’un nouvel organe coordonnant les préparatifs des Jeux olympiques de 2016, à Rio, à la tête duquel est nommé le général Fernando Azevedo e Silva qui deviendra ministre de la Défense sous Bolsonaro.

Avec le début du gouvernement putschiste de Michel Temer (MDB), la présence militaire augmente de 5 % au sein du gouvernement, s’élargissant à de nouveaux portefeuilles. La rupture symbolique s’est opérée avec la nomination d’un militaire à la tête de la Défense, ne soumettant plus ainsi les Forces armées à un commandement civil et rompant du même coup avec la tradition établie par la promulgation de la Constitution de 1988. (…)

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