« Au Chili, la révolte contre le néolibéralisme ne sera pas affaiblie par le virus » (interview de Pablo Allende par Andrea Cotrena / Solidaires-Belgique)

En octobre 2019, le Chili se réveillait après plusieurs décennies de néolibéralisme sauvage. Une hausse du prix du ticket de métro est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La privatisation de la santé, de l’éducation, des pensions, etc. a mené ce peuple à la résistance. Résistance que le coronavirus ne tue pas.

Photo : Nueva sociedad

La pandémie est arrivée alors que les mobilisations s’intensifiaient. La détermination à lutter pour une vie digne et pour un changement de constitution (la constitution actuelle date de l’époque de la dictature de Pinochet) ne s’est pas éteinte à cause du virus. Au contraire. C’est dans ce contexte particulier que nous recueillons le témoignage du médecin chilien Pablo Sepulveda Allende, petit-fils du président progressiste défunt Salvador Allende.

Comment les autorités chiliennes gèrent-elles l’épidémie ? 

Pablo Allende en 2018 à ManiFiesta. (Photo Cubanismo)

Pablo Allende. La stratégie chilienne était de faire des tests de dépistage à grande échelle. Le problème, c’est que les tests étaient payants, et qu’ils n’étaient pas accompagnés d’autres mesures… Il n’y avait pas de mise en quarantaine après le dépistage positif, contrairement, par exemple, à la Corée du Sud où tous les cas positifs ont été mis en quarantaine. Ce n’est que récemment, après l’apparition de nombreux foyers d’infection – surtout dans les quartiers pauvres – que des logements (dans des hôtels) servent à isoler les personnes qui ne vivent pas dans des conditions qui leur permettent d’être réellement en quarantaine. En ce qui concerne la quarantaine sélective, dans la capitale qui est le foyer principal de la pandémie (80 % des cas), ce fut un échec alors que plusieurs scientifiques et des organisations de la société civile avaient tiré la sonnette d’alarme et avaient demandé que le gouvernement prenne des mesures de confinement. Une carte blanche a même été signée par plus de 1 000 scientifiques et académiciens demandant un confinement total. Cela ne s’est pas fait, pour privilégier l’économie. Donc, la quarantaine est organisée par la municipalité (équivalent de notre commune, NdlR). Certaines municipalités ont compté des foyers importants et elles se sont mises en quarantaine une ou deux semaines. Et quand une municipalité sortait de quarantaine, une autre municipalité était touchée et était mise en quarantaine. Cela a débouché sur une multiplication importante de cas.

Voir notre campagne Ollas comunes de Valparaíso

Début juin, le Chili a enregistré jusqu’à plus de 5 000 cas par jour, ce qui, pour ce pays de 18 millions d’habitants, représente un taux énorme. Le taux de cas positif – donné par le gouvernement – était en avril de 8 %. Fin juin, il était de 18 %… Ça montre l’absurdité et l’inefficacité de leur système. Les plus riches ne souffrent pas de ce risque de contagion parce qu’ils ne doivent pas prendre les transports publics, parce qu’ils peuvent rester à la maison en quarantaine sans souffrir de répercussion économique. Par contre, ils envoient les travailleurs au boulot sous la menace de les virer.

En mars 2020, en pleine crise du Covid, l’ONG Greenpeace dénonçait  le fait que 350 000 Chiliens et Chiliennes n’avaient pas accès à l’eau. Sachant que le Chili détient une des plus grandes réserves mondiales d’eau douce, comment en est-on arrivé là ?

Pablo Allende. Il y a deux problèmes : la privatisation de l’eau et de son utilisation d’abord, et la sécheresse ensuite. Celle-ci est présente depuis de nombreuses années et elle est causée par le modèle économique. Les écosystèmes ont été particulièrement exploités, par la déforestation des forêts primaires pour semer des monocultures (sapins, eucalyptus, avocats) qui consomment beaucoup d’eau, par exemple. Privatisation et sécheresse sont liés. La privatisation de l’eau découle d’une des réformes néolibérales mises en place par le régime militaire du Général Pinochet – au pouvoir entre 1973 et 1990. Le rapport de l’Observatoire latino-américain des conflits environnementaux (Olca) sorti en janvier 2020 montre que la privatisation de l’eau s’est faite au profit d’entreprises canadiennes qui détiennent entre 50 et 70 % de l’activité minière en Amérique latine. Les mobilisations sociales d’octobre 2019 ont, dés le début, mis l’accent sur les demandes socio-environnementales, avec le slogan « Ce n’est pas la sécheresse, c’est le pillage » (…)

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