Au Chili, tout pour le lithium, au détriment de l’environnement (Marion Esnault / Reporterre)
Animaux, plantes, eau… Au Chili, la vie disparaît au gré de l’extraction du lithium. Un homme, d’un peuple indigène, en a fait son combat. Le pays, lui, compte augmenter la cadence de production de cet « or blanc ».
Elles sont presque sans limite. Des étendues d’une terre blanche et ocre, à perte de vue. Ce n’est pas du sable, mais du sel. Et en dessous, se cache le métal tant convoité pour les voitures électriques : le lithium. Nous voici au cœur du salar d’Atacama, le désert de sel chilien le plus aride du monde, à plus de 2 500 mètres d’altitude, où la production de lithium bat son plein. Cet extractivisme massif, Christian Espindola, un agriculteur, en a fait son combat. Situé en bordure de ce désert de sel, son village indigène, Lickanantay de Toconao, subit les affres de cette activité. « Le salar d’Atacama est un lieu sacré qui appartient à l’histoire ancestrale de mon peuple. On y trouve des animaux, de l’eau, des microorganismes, mais les mines comme celles de lithium détruisent cette vie si unique. » Il n’espère qu’une chose : « Que les mines partent et laissent mon peuple vivre en paix, pour que notre culture perdure. »
Un souhait qui n’est pas près d’être exaucé. Le Chili fait partie du « Triangle de l’or blanc » — avec l’Argentine et la Bolivie —, qui rassemble à lui seul 60 % des ressources mondiales en lithium (20 % pour le Chili), comme le montrait Reporterre dans la première partie de cette enquête. Et le pays compte bien suivre le filon dans le salar d’Atacama : l’entreprise minière chilienne Soquimich (SQM), détenue depuis la dictature de Pinochet par Julio Ponce Lerou, neveu de l’ex-général chilien, prévoit de tripler sa production de lithium d’ici à 2030 pour atteindre 180 000 tonnes d’équivalent carbonate de lithium (LCE) par an. Et ce, alors qu’elle se targue déjà d’être le principal producteur de lithium au monde.
« Le Chili a basé son économie néolibérale sur la vente des ressources naturelles, explique Cristina Dorador, scientifique chilienne et élue en mai dernier à l’Assemblée constituante, qui a pour mission, après la révolution sociale d’octobre 2019 au Chili, d’écrire une nouvelle Constitution. Le salar d’Atacama est un territoire qui contient beaucoup de minéraux, et donc de gisements miniers. La région était autrefois inondée de lacs, qui se sont asséchés, puis évaporés et formé des bassins, dits “salars”. »
ci, on exploite le lithium depuis les années 1980. « Aujourd’hui, le Chili subit une pression internationale en formant une part du “Triangle de l’or blanc”. On a même comparé le pays à l’Arabie saoudite ou la “Silicon Valley du lithium”, explique à Reporterre Barbara Jerez, docteure en écologie politique et en sciences latino-américaines à l’université de Valparaíso. Les puissances économiques ont toujours baptisé ce territoire en fonction des minerais extraits. Par là, on signifie à la population locale qu’il s’agit d’un lieu où le plus important, c’est le minéral, et où tout le reste passe au second plan. »
Résultat : les nombreuses mines installées près de villes et villages « ont entraîné des problèmes de santé et des changements sociétaux majeurs », précise Cristina Dorador, en mettant en avant des problèmes d’accès à l’eau, l’enjeu majeur de l’extraction du lithium dans le salar d’Atacama.
L’eau, l’enjeu majeur
Celle-ci se fait en plein désert, là où il y a très peu d’eau. La région connaît l’un des plus hauts stress hydriques, étant le désert le plus aride du monde. « Or, deux éléments sont indispensables à l’extraction minière : l’énergie et l’eau », explique Cristina Dorador. Pour en comprendre le fonctionnement, direction les gisements de la Soquimich (SQM) [1], dont la mine fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Après deux heures de route à bord d’un 4×4 rouge, nous arrivons sur une bande de terres blanches salées au pied d’immenses piscines d’évaporation de lithium.
Dans ces bassins d’évaporation est disposée la saumure, un liquide transparent extrait de leurs puits et composé à 70 % d’eau et 30 % de sel. « Sous l’effet de la radiation solaire, l’eau s’évapore et laisse se précipiter les sels au fond des piscines, explique Alejandro Bucher, responsable du développement durable de SQM. Nous les récupérons pour produire du potassium. »
Le liquide est déplacé de piscine en piscine, et après un long bain de soleil douze à dix-huit mois, on obtient enfin le minéral tant convoité, sous forme de chlorure de lithium. « On l’envoie à Antofagasta, à 270 kilomètres d’ici, où sont les usines de carbonate et d’hydroxyde de lithium. On provoque une réaction avec une autre matière, le chlorure de sodium, importé par bateau d’autres pays. Puis, le produit transformé est exporté chez nos clients, principalement en Asie », explique Alejandro Bucher. (…)
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