Colombie : au pic du Covid, on ne parle que du « Paro » (Olga González / Club Médiapart)

Au moment où la Colombie traverse le plus gros pic du Covid depuis le début de la pandémie (plus de 500 morts par jour depuis début juin, un nombre de nouvelles contaminations quotidiennes qui augmentent de manière explosive), l’épidémie n’intéresse personne. Tous les yeux, tous les cœurs sont tournés vers le « paro », le plus grand mouvement social des dernières cinquante années.

Mai 2021: nuit d’émeutes à Bogotá © Nelson Cardenas @cantarranasur

Je propose une tribune sur la Colombie à une journaliste française, responsable internationale d’un grand journal en ligne. Elle me demande le pourquoi, qu’est-ce qui s’y passe. Elle ignore tout sur les événements. Je la renseigne, lui parle d’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connus la Colombie depuis cinquante ans. Elle me dit : « Peut-être oui pour la tribune, en tout état de cause il faudrait aborder les sujets qui intéressent nos lecteurs, le Covid et la pandémie ».

C’est mal parti. Car au moment où la Colombie traverse le plus gros pic du Covid depuis le début de la pandémie (plus de 500 morts par jour depuis début juin, un nombre de nouvelles contaminations quotidiennes qui augmentent de manière explosive), l’épidémie n’intéresse personne. Tous les yeux, tous les cœurs sont tournés vers le « paro ».

Le « paro » : mouvement social, bien sûr. Mais encore : « paro », littéralement, l’arrêt des activités. Il ne s’agit pas simplement d’une grève, mais de manifestations, cortèges, occupations, barrage des axes de communication[1]. De fait, les grévistes au sens propre sont minoritaires dans les paros colombiens. Les raisons sont très simples. Les travailleurs formels, salariés d’une entreprise, sont minoritaires dans l’économie colombienne (plus de 60% des travailleurs sont dans l’informalité) ; les syndicats sont très faibles dans les entreprises (les syndicalistes font l’objet de grosses campagnes de diffamation, de menaces sur leur vie, d’intimidations légales) .

Cependant, c’est bien suite à l’appel d’un Comité de paro, composé essentiellement de dirigeants d’organisations syndicales, que ce mouvement social a été lancé. De fait, dans son appel du 28 avril 2021, ce Comité reprenait les questions centrales du dernier grand « paro », celui de novembre 2019, lequel cherchait à faire reculer le gouvernement dans un « paquet » de lois néolibérales (réforme fiscale généreuse pour les plus grandes fortunes du pays, réforme des retraites nuisible au plus grand nombre, etc).

En 2019, le paro avait été très largement suivi par une grande frange de la population. La composition sociologique variée (jeunes, classes moyennes, féministes), l’éventail des modalités de protestation (dont le cacerolazo[2]), avaient surpris les observateurs. Et dans une dynamique qui n’allait que s’aggraver en 2021, le mouvement avait été réprimé par les forces de l’ordre, causant notamment la mort d’un jeune manifestant à Bogota, Dilán Cruz[3].

Je propose une tribune sur la Colombie à une journaliste française, responsable internationale d’un grand journal en ligne. Elle me demande le pourquoi, qu’est-ce qui s’y passe. Elle ignore tout sur les événements. Je la renseigne, lui parle d’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connu la Colombie depuis 50 ans. Elle me dit : « Peut-être oui pour la tribune, en tout état de cause il faudrait aborder les sujets qui intéressent nos lecteurs, le Covid et la pandémie ».

C’est mal parti. Car au moment où la Colombie traverse le plus gros pic du Covid depuis le début de la pandémie (plus de 500 morts par jour depuis début juin, un nombre de nouvelles contaminations quotidiennes qui augmentent de manière explosive), l’épidémie n’intéresse personne. Tous les yeux, tous les cœurs sont tournés vers le « paro ».

Le « paro » : mouvement social, bien sûr. Mais encore : « paro », littéralement, l’arrêt des activités. Il ne s’agit pas simplement d’une grève, mais de manifestations, cortèges, occupations, barrage des axes de communication[1]. De fait, les grévistes au sens propre sont minoritaires dans les paros colombiens. Les raisons sont très simples. Les travailleurs formels, salariés d’une entreprise, sont minoritaires dans l’économie colombienne (plus de 60% des travailleurs sont dans l’informalité) ; les syndicats sont très faibles dans les entreprises (les syndicalistes font l’objet de grosses campagnes de diffamation, de menaces sur leur vie, d’intimidations légales) .

Cependant, c’est bien suite à l’appel d’un Comité de paro, composé essentiellement de dirigeants d’organisations syndicales, que ce mouvement social a été lancé. De fait, dans son appel du 28 avril 2021, ce Comité reprenait les questions centrales du dernier grand « paro », celui de novembre 2019, lequel cherchait à faire reculer le gouvernement dans un « paquet » de lois néolibérales (réforme fiscale généreuse pour les plus grandes fortunes du pays, réforme des retraites nuisible au plus grand nombre, etc).

En 2019, le paro avait été très largement suivi par une grande frange de la population. La composition sociologique variée (jeunes, classes moyennes, féministes), l’éventail des modalités de protestation (dont le cacerolazo[2]), avaient surpris les observateurs. Et dans une dynamique qui n’allait que s’aggraver en 2021, le mouvement avait été réprimé par les forces de l’ordre, causant notamment la mort d’un jeune manifestant à Bogota, Dilán Cruz[3].

Le paro de la fin 2019 s’inscrivait dans un mouvement plus large : le Chili, l’Équateur, le Liban, l’Algérie, Haïti, Hong Kong… plusieurs pays dans le monde vivaient des formes inédites et simultanées de contestation sociale. À partir de motivations de départ circonscrites (augmentation du prix du ticket de métro au Chili, annonce de nouveaux impôts sur l’essence au Liban, loi d’extradition vers la Chine à Hong Kong…), ces mouvements ont rapidement exprimé une colère plus profonde (révolte sociale anti-austérité, crise de légitimité politique, insurrection anti-élites). De plus, ces mouvements succédaient aux grandes manifestations des gilets jaunes en France, retransmises dans le monde entier. Elles ont suivi des étapes similaires (contestation d’un aspect ponctuel, large diffusion via les réseaux sociaux -désormais partie intégrante des révoltes- installation dans la durée, radicalisation au-delà des réclamations initiales).

Manifestant à Bogota: "Ceux d'en bas, en haut" (mais aussi: "Bravo ceux d'en bas") © Nelson Cardenas @cantarranasur
Manifestant à Bogotá: © Nelson Cardenas @cantarranasur

Le paro d’avril-mai 2021 peut donc être vu comme la continuité de ce grand mouvement social initié en 2019 un peu partout dans le monde. Sauf qu’entretemps la pandémie est passée par là, avec son bilan catastrophique en termes économiques, sociaux, et dans les niveaux de violence. Pour ne donner qu’un chiffre : les pauvres sont passés de 36% en 2019 à 43% en 2021 : les spécialistes affirment que la pandémie a effacé huit années de lents progrès en matière de limitation de la pauvreté.

Par ailleurs, l’année de la pandémie n’a pas impliqué, comme dans d’autres pays de la région, une baisse significative de la violence. Ainsi, malgré une baisse globale du nombre d’homicides en Colombie (en raison du confinement prolongé), les violences et les assassinats ciblés ont continué (voir par exemple le massacre de 23 prisonniers à Bogotá en mars 2020[4], ou le chiffre de 182 leaders sociaux assassinés[5]).

Les manifestations de 2021 durent plus longtemps que celles de 2019. Elles ont monté en puissance et en radicalité. Ceci se reflète dans les formes même de la contestation : ainsi, alors que le « cacerolazo » avait été la forme dominante de la protestation en 2019, ce sont les barrages qui se sont imposés en 2021. Selon le gouvernement, au bout de un mois de manifestations, il y avait 2500 barrages en Colombie. Cette modalité de protestation (blocage d’un axe routier) était dans le passé réservé aux grandes routes qui relient les villes. Désormais, les blocages se déploient aussi à l’intérieur des villes.

A Bogota, le monument aux héros de l'indépendance est devenu le point de ralliement des manifestants. A la place de la statue de Bolivar, une fresque représente un indien. © Nelson Cardenas @cantarranasur
À Bogotá, le monument aux héros de l’indépendance est devenu le point de ralliement des manifestants. À la place de la statue de Bolivar, une fresque représente un indien.
© Nelson Cardenas @cantarranasur

Les acteurs le plus en vue dans les rues ont été, sans conteste, les jeunes. Les Colombiens ont découvert la « première ligne », ces jeunes manifestants armés de boucliers faits maison et de casques bariolés qui, à l’instar des Chiliens en 2019, s’organisent pour « se défendre de la police et permettre aux gens de manifester ». Grâce à ces mobilisations, à leurs voix portées par les médias indépendants, certains secteurs du pays politique et du monde de l’entreprise semblaient découvrir que la Colombie est un pays sans espoir pour les jeunes[6]. Et pour cause : selon un sondage de mai 2021, 75% des 18-30 ans en Colombie considèrent que le chômage est le principal de leurs problèmes[7]. Les moins de 28 ans ont les taux de chômage parmi les plus élevés chez les actifs. Ces jeunes subissent de plein fouet la série de mesures pour la « flexibilisation du travail » prises par pratiquement tous les gouvernements depuis les années 1990. (…)

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