🇨🇺 Cuba : compte-rendu de la réunion du Tribunal international contre le blocus de Cuba au sein du Parlement européen à Bruxelles, les 16 et 17 novembre 2023.


Les 16 et 17 novembre 2023, un Tribunal international contre le blocus de Cuba s’est réuni au sein du Parlement européen à Bruxelles. En complément de l’article publié dans le dernier numéro de notre revue FAL MAG, nous vous proposons de trouver ici les interventions de trois des participants français ainsi que la résolution finale.

Photos : Cuba Coopération

Intervention de François-Michel Lambert, ancien président du groupe d’amitié France Cuba de l’Assemblée nationale

Quelles lois ont du être adoptées au sein de l’Union Européenne pour empêcher l’application extraterritoriale du blocus des États-Unis contre Cuba, dans l’exercice souverain de l’UE, de ses pays membres et de ses entreprises ? 

Photo : Marie-Christine Delacroix (FAL)

En 2019 le député français Raphaël Gauvain (majorité présidentielle Macron) remettait un rapport au Premier ministre français, Édouard Philippe, intitulé « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises ». Les premiers mots de son rapport sont édifiants :  « la règle de droit (….) est devenue aujourd’hui une arme de destruction dans la guerre économique que mènent les États-Unis contre le reste du monde, y compris contre leurs alliés traditionnels en Europe. »

Face à la mise en œuvre des lois extra-territoriales américaines (dites « Helms-Burton » au titre exact « Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act of 1996 », sans équivoque quant à sa portée politique) promulguées en 1996, l’Union européenne a présenté un outil juridique , le Règlement de l’Union européenne n°2271/96, dit « de blocage »

Le Règlement de l’Union européenne n°2271/96 vise à annuler les effets, dans l’UE, des décisions et législations étrangères, et vise ainsi à protéger les personnes physiques ou morales des sanctions imposées par des pays tiers.

Deux protections accompagnent ce règlement qui fait office de loi :

  • l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance et l’exécution, dans l’UE, des décisions de justice étrangères fondées sur des textes étrangers;
  • la possibilité pour les opérateurs de l’UE de demander la réparation des dommages causés par l’application extraterritoriale des lois étrangères.

Comme son nom l’indique il a pour objectif principal de bloquer les effets découlant de l’application de législations adoptées par des États tiers à l’Union Européenne. Conformément à l’article premier du règlement de 1996, la loi Helms-Burton est concernée par son application puisqu’elle figure, titre III inclus, au titre des législations en annexe du Règlement. 
Ainsi, les effets découlant de l’application aux États-Unis de la loi Helms-Burton sont concernés par ce blocage et empêchent, notamment, la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice de condamnation, éventuellement prises sur son fondement aux États-Unis. L’article 11 prévoit expressément les personnes pouvant bénéficier de cette protection au sein de l’UE sans toutefois les protéger d’une exécution aux États-Unis d’une décision de la justice américaine sur leurs biens matériels et immatériels,

La loi de blocage impose aux entreprises affectées par l’application extraterritoriale de la loi étrangère de le signaler à la Commission européenne. Elle interdit aux opérateurs européens de se conformer aux lois étrangères sur le territoire de l’UE. Cependant un opérateur, entreprise ou personne physique, peut demander à la Commission européenne l’autorisation de se conformer à ces lois étrangères lorsqu’il estime que la non-application de la loi lui causerait plus de torts encore, notamment si cette entreprise ou personne physique détient du patrimoine sur le sol américain.

Dès lors qu’une entreprise serait sanctionnée par les États-Unis sur le fondement de dispositions extraterritoriales, cette dernière se verrait indemnisée par l’Union européenne. Afin de compenser la somme versée subie au titre de cette indemnisation, la Commission pourrait alors procéder à une saisie d’actifs (biens mobiliers, immobiliers, comptes, etc.) des États-Unis sur le territoire de l’Union non couverts par l’immunité diplomatique (les biens souverains ne sont pas tous couverts par les immunités diplomatiques), sous réserve cependant que les Tribunaux ne considèrent pas que l’immunité de juridiction constitue un obstacle à cette action récursoire.

Mais force est de constater que la prodécure d’indemnisation aujourd’hui prévue par le règlement de 1996 est largement inopérante. L’article 6 du règlement prévoit que toute personne européenne visée par des sanctions extraterritoriales prévues par les lois annexées au règlement a le droit de se faire indemniser devant les juridictions des États membres. Le risque financier reste néanmoins intégralement porté par l’entreprise tant que celle-ci n’a pas eu gain de cause devant les tribunaux européens, limitant grandement la portée du dispositif.

De ce fait ce règlement de l’UE n°2271/96, y compris après sa révision en 2018, ne permet pas dans son état actuel d’offrir une protection suffisante aux opérateurs économiques européens face à l’extraterritorialité du droit américain.

Seule une révision profonde de ce texte permettra de répondre à l’objectif recherché qui dans faire le bouclier face au glaive de la loi « Helms-Burton ».

Si l’objectif est avant tout de dissuader les États-Unis de poursuivre nos opérateurs, le mécanisme renforcé se devrait d’être suffisamment opérationnel et crédible, là où le Règlement de 1996 ne l’est pas dans sa rédaction actuelle, cette saisie de biens américains en Europe étant déjà explicitement prévue dans le Règlement de 1996.

Une mise à niveau des protections apportées par le règlement de 1996 est donc indispensable, notamment pour rendre effective la saisie des biens américains en Europe et assurer une réelle protection des entreprises, des biens et des personnes, face à la recrudescence de litiges constatés ces dernières années.


Intervention de Victor Fernandez, président de Cuba coopération

Monsieur le Président du Tribunal international contre le blocus de Cuba, mesdames et messieurs les membres du Tribunal, au nom de l’association Cuba coopération France et du Mouvement de solidarité avec Cuba (MESC) d’Espagne, je me présente devant ce tribunal en qualité de témoin.

Image : Cuba Coopération

Cela fait trente ans que nous coopérons avec Cuba afin de développer les liens culturels, scientifiques et économiques entre nos pays. Nous nous appuyons pour cela sur la coopération décentralisée, en France et en Espagne, qui permet les échanges humains, culturels, économiques et éducatifs fondés sur les bonnes pratiques en matière de gestion et de gouvernance. Elle permet également la mise en œuvre de projets concrets et le renforcement des liens d’amitié entre les territoires. Depuis la création de nos associations, ce sont plus de 150 projets de collaboration avec nos partenaires cubains réalisés à ce jour.

Cette coopération touche fondamentalement les domaines de la culture, les transports, l’eau et l’assainissement ainsi que le développement local. Certains projets ont été menés en association avec le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement).

Notre longue expérience à Cuba nous permet d’affirmer que tous les secteurs de l’économie cubaine, son modèle social et sa population sont durement affectés par le blocus économique et commercial imposé par les États-Unis. Il constitue le principal obstacle au développement économique de Cuba et est source de souffrances pour sa population.

Malgré ces difficultés, nous avons été témoins d’importants progrès dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’environnement et du développement local. La démocratie et les réformes pour perfectionner le modèle social n’ont pas été étrangères aux changements. Cuba jouit également d’un indice de développement élevé et reconnu.

En fonction de ces avancées, on peut se demander quel serait aujourd’hui le niveau de développement économique et social de Cuba si elle n’avait pas souffert du blocus économique et des sanctions extra territoriales. Ce tribunal pourrait examiner cette question.

Monsieur le Président, je veux dans mon intervention attirer l’attention sur les difficultés que nous rencontrons, en France et en Espagne, pour réaliser les projets approuvés par les partenaires européens et les organismes cubains. Notre mission est de veiller à l’application, l’exécution et le contrôle des moyens financiers consacrés à ces projets. Nous intervenons à Cuba sur mandat des collectivités locales et régionales, des institutions et des fondations.

Le blocus contre Cuba et les sanctions extra territoriales ont bien une influence en Europe et rendent notre travail plus difficile. La majorité de ces difficultés portent sur l’acquisition d’équipements à destination de Cuba et les transferts de fonds dans le cadre de campagnes de solidarité ou le financement de matériel pour les projets.

Nous avons listé dans un document annexe l’ensemble de ces obstacles.

Les principales difficultés :

  • 1. De nombreuses entreprises refusent de vendre des produits technologiques à destination de Cuba. Ils justifient tous leur refus par le fait qu’ils ne peuvent pas envoyer de matériel à Cuba.
  • 2. Les prix d’achat des marchandises sont supérieurs aux prix du marché, ce qui restreint notre capacité dans la mise en œuvre des projets.
  • 3. Des difficultés pour l’envoi des marchandises et des tarifs excessifs. L’épidémie de COVID a aggravé cette situation.
  • 4. Les conteneurs pour Cuba n’arrivent pas à la date prévue, parfois avec plus de deux mois de retard. Les transporteurs justifient ces retards par l’absence de ligne directe de navigation.
  • 5. Refus des transferts bancaires pour les projets.
  • 6. Refus des transferts à des individus ou des familles.
  • 7. Fermetures de comptes bancaires.
  • 8. Impossibilité d’envois de petits paquets suite au retrait de DHL et de Colissimo.
  • 9. Retrait de partenaires sur certains projets en raison du risque de sanctions ou de pressions des institutions financières.

Cette situation s’est aggravé à partir de 2019 avec l’annonce par les États-Unis du rétablissement des sanctions extra territoriales. Les conséquences ne se sont pas fait attendre.

Les principales banques françaises ou européennes se refusent désormais à toute activité économique avec Cuba. La banque Wormser Frères puis la Banque Populaire Rives de Paris ont décidé de fermer nos comptes qui fonctionnaient sans problème. Des projets économiques menés par notre filiale CCF-développement dans les domaines de l’agriculture, des infrastructures, de l’eau et de l’assainissement ont été affectés, certains ont dû être abandonnés. Nous avons dû renoncer à importer des fruits de Cuba car notre banque refusait de nous suivre dans cette activité. Un grand projet ferroviaire soutenu par l’Agence française de développement a été annulé suite à l’activation du chapitre III de la loi Helms-Burton. D’autres projets ont dû être modifiés.

En mars 2023, le SIAAP (service public d’assainissement de la région parisienne), engagé depuis 1996 dans une convention de coopération sur l’eau et l’assainissement a annulé cette convention avec l’INRH (Institut national des ressources hydrauliques) et Cuba coopération. Cette convention s’inscrivait dans l’agenda 2030 pour le développement durable. Elle portait sur le contrôle de la qualité de l’eau ; le don de réactifs et d’équipements pour les laboratoires cubains d’analyse de l’eau ; l’amélioration des réseaux d’assainissement de la ville de La Havane et d’autres capitales provinciales comme Cienfuegos et Santiago de Cuba ; le renforcement de la sécurité des personnels de ce secteur ; les études pour les plans directeurs d’assainissement d’au moins deux grandes villes, Cienfuegos et Santiago de Cuba.

Sous la coordination de l’INRH, les actions du SIAAP ont profité à la population et à l’environnement. Toutes les parties intervenantes ont reconnu des résultats exemplaires. C’est devenu en France une référence nationale en matière de coopération décentralisée en raison du volume financier et de la durée du projet. Malgré les résultats de ces 27 années, le SIAAP, sous les pressions politiques et en particulier d’une de ses banques, la BNP, a dénoncé avant terme la convention et mis fin à la coopération la plus importante et la plus longue d’un service public français avec Cuba.

De nombreuses entreprises françaises présentes à Cuba ont été pénalisées en conséquence de leurs projets à Cuba. Cela montre jusqu’à quel point le blocus et les sanctions pénalisent nos pays, affectent la souveraineté de nos collectivités, des organismes et des entreprises nationales dans la mesure où ils les empêchent de décider librement d’investir et de coopérer avec Cuba.

Cette opinion est partagée par l’organisation patronale française MEDEF qui a regretté dans une déclaration les sanctions extra territoriales à un moment où Cuba adopte progressivement des mesures d’ouverture économique.

Les outils légaux dont dispose l’Union européenne doivent être mobilisés pleinement pour faire respecter la souveraineté européenne et préserver la liberté de commerce.

Monsieur le Président du tribunal, toutes ces difficultés ont un nom : blocus et sanctions contre Cuba. Les sanctions extraterritoriales sont illégales en droit international. Le blocus constitue également une violation des droits humains. Le coupable, ce sont les États-Unis.

Nous accusons les États-Unis d’être responsable d’un crime injustifié visant à réduire à la famine le peuple cubain pour imposer un changement de régime.

Nous accusons l’Union européenne de complicité. Les gouvernements européens condamnent il est vrai le blocus mais ils n’appliquent pas toutes les résolutions des Nations Unies.

Pour tous ces motifs nous demandons au Tribunal international :

  • de condamner les États-Unis et d’exiger réparations pour les dommages contre Cuba en accord avec les préjudices économiques induits
  • d’exiger de l’Union européenne l’application de ses outils légaux pour faire respecter la souveraineté de l’Europe
  • d’obliger le système bancaire européen à réaliser des opérations avec Cuba.

Une telle décision serait un encouragement pour ceux qui défendent cette cause, une feuille de route mondiale pour poursuivre ce combat juste et nécessaire. Pour terminer, permettez-moi de vous demander d’inclure cette phrase dans la sentence : la politique économique et sociale de Cuba ne se décide pas à Washington, à Miami ou à Bruxelles. Seul le peuple cubain libre et souverain peut décider de son avenir.

 Témoignage du président de Cuba Coopération France, Victor Fernandez,

Intervention de Charlotte Balavoine pour le PCF

Bonjour à tous, dans un premier temps je vous transmets les salutations fraternelles de Fabien Roussel, le Secrétaire national de mon parti : le PCF, et de André Chassaigne le président du groupe d’amitié avec Cuba à l’Assemblée nationale française qui n’a pas pu être présent aujourd’hui car actuellement en initiative justement sur Cuba en France.

Nous avons une responsabilité collective dans la situation que connaît l’île aujourd’hui. Je le dis venant d’une organisation qui a été une des première à mener la solidarité avec Cuba, son peuple et sa Révolution. Aujourd’hui, c’est le constat que nous faisons, la majorité des peuples européens ignorent la réalité et l’existence même du blocus.

Nous avons une véritable bataille idéologique à mener sur Cuba. Celle-ci doit se faire en allant convaincre bien au-delà de nos rangs. Nous parlions de pédagogie plus tôt, pour mener cette bataille il faut y compris convaincre sur l’impact du blocus dans nos propres pays.

C’est d’ailleurs en ce sens que André Chassaigne vient de publier un livre « Cuba, cette étoile dans la nuit : la lutte d’un peuple contre un blocus criminel ». La promotion de ce livre nous permet d’affiner notre argumentation sur le sujet et l’appropriation par les camarades et au-delà, de la réalité de Cuba.

La mise en œuvre des 243 mesures par Trump et l’activation du chapitre IV de la loi Helms-Burton empêchent les pays européens d’avoir des relations commerciales et politiques normales avec Cuba. Cette politique a abouti à des amendes titanesques de onze milliards d’euros pour trente-huit banques européennes. Le blocus porte atteinte au droit souverain du peuple cubain mais c’est aussi une question de souveraineté pour nos pays et notamment la France.

Ensuite il faut rappeler que l’inscriptiont de Cuba sur la liste des états soutenant le terrorisme s’est faite car le pays a accueilli le processus de pays colombien et a refusé l’extradition des dirigeants de l’ELN, demandée par l’ancien président de la Colombie et alors que cela aurait été en contradiction avec le droit international. Or aujourd’hui le processus de paix avec l’ELN a été conclu et le gouvernement colombien actuel lui-même, n’a de cesse de demander le retrait de Cuba de cette liste. Il n’y a donc plus aucune justification aujourd’hui, qu’elle soit légale ou illégale, pour maintenir Cuba sur cette liste. Je pense que ça aussi c’est un argument qui peut porter bien au-delà de nos rangs.

Nous avons décidé d’une grande campagne de solidarité politique et matérielle avec Cuba lors de notre dernier congrès en avril 2023 à la suite de la visite à Cuba de notre secrétaire national Fabien Roussel en décembre dernier.

Cette solidarité concrète se fait sous trois volets :

– L’envoi de conteneurs de matériels de première nécessité d’une part. C’est ce qu’ont fait d’ailleurs depuis des années d’autres organisations comme la CGT qui a été pionnière dans ce domaine.

– Évidemment, il ne s’agit pas uniquement de venir en aide au pays mais également de lui permettre de se développer économiquement, c’est pour cela que le deuxième volet est celui de l’investissement d’un certain nombre d’entreprises dans l’île.

– Enfin et c’est le troisième volet, la question de la coopération territoriale et des accords de coopération entre un certain nombre de villes en France et des villes cubaines.

Enfin, si la campagne de solidarité avec Cuba doit toucher bien au-delà de nos rangs, elle revêt, pour nous communistes, une dimension supplémentaire. Cuba c’est l’exemple qu’un autre monde est possible, que le capitalisme n’est pas une fatalité ou la fin de l’histoire. Cuba c’est la preuve qu’un peuple est capable de construire une société socialiste émancipée de la domination du capital.

Pour ma part je suis devenue communiste grâce à Cuba, parce que la première fois que j’ai visité le pays je me suis rendue compte qu’un peuple était capable de résister à l’impérialisme étasunien depuis des décennies et construire une alternative au système. Je pense donc que Cuba, son peuple et sa Révolution nous obligent, à nous tout particulièrement en tant que communistes, car il ne s’agit pas uniquement d’une cause juste, mais pour nous de montrer qu’un projet révolutionnaire n’est pas uniquement un idéal mais aussi une réalité.


Résolution finale du Tribunal international contre le blocus de Cuba réuni au sein du Parlement européen à Bruxelles les 16 et 17 novembre 2023. (cliquez en bas à gauche pour changer de page)

Jugement-Tribunal-international-sur-le-blocus-de-Cuba-novembre-2023


Voir également :
Le tribunal international contre le blocus s’est prononcé (Cuba Coopération / 22 novembre 2023)
Cuba : « Les sanctions américaines impactent aussi les acteurs économiques français » (Luis Reygada / L’Humanité) (19 novembre 2023)
La communauté internationale réclame la fin du blocus imposé à Cuba (Luis Reygada / L’Humanité) (6 novembre 2023)