Haïti entre corruption, totalitarisme et insurrection (Frédéric Thomas, Latifa Madani / CETRI)
Un pouvoir dictatorial qui s’installe, un soulèvement populaire qui ne lâche pas prise. Dix ans après le séisme qui a ravagé l’île, le pays est loin d’être reconstruit et la situation est extrêmement tendue, tant sur le plan sanitaire que social et politique.
Article publié dans L’Humanité.
Le mardi 12 janvier 2010, un violent séisme frappait Haïti, et notamment sa capitale, Port-au-Prince, faisant près de 300 000 morts et des millions de sans-abri. Dix ans après, l’île est paralysée et la situation explosive. Le pays vit une situation quasi insurrectionnelle. Le président, Jovenel Moïse, élu en février 2017 avec moins de 21 % de participation, est éclaboussé par des scandales de corruption. En outre, il dirige le pays sans gouvernement depuis décembre, et désormais, à partir de ce 13 janvier, sans Parlement et sans la moitié des sénateurs – le Parlement haïtien devenant caduc du fait du report sine die des élections initialement prévues en octobre. Depuis juillet 2018, une révolte populaire réclame pourtant son départ et un changement profond du système. Mais le pouvoir y répond par une répression « digne des Tontons Macoutes de Duvalier », selon les mots de l’écrivain Lyonel Trouillot (lire ci-contre). Plus de 40 personnes ont ainsi été tuées et 200 blessées depuis septembre, lors de manifestations quotidiennes contre la hausse des prix des carburants. Et désormais tout peut basculer. « Ce 13 janvier est une date fatidique car Jovenel Moïse gouvernera seul. C’est ce qu’il voulait. Aucune des revendications populaires n’a été satisfaite », analyse Frédéric Thomas, politologue au Centre tricontinental (CETRI) de Louvain.
De fait, les conditions de vie et la situation des droits de l’homme sont au plus mal. Haïti est classé au 168e rang sur 189 pays, selon l’indice de développement humain (IDH, qui mesure la qualité de vie moyenne de la population). 59 % de la population est en état de pauvreté, selon les organisations onusiennes. « Ce n’est pas le séisme qui a fait la catastrophe en Haïti, mais les bidon-villes et la pauvreté, l’absence d’infrastructures et de services sociaux. La catastrophe avait déjà eu lieu. Elle avait un nom : le néolibéralisme », souligne le politologue.
500 000 personnes en situation de préfamine
À Port-au-Prince, les bidonvilles s’étendent à perte de vue, côtoyant des hôtels de luxe érigés dans le cadre de la reconstruction. Celle-ci a peu profité aux habitants, sauf à faire face aux situations d’urgence. « Quelques projets pertinents ont été lancés, reconnaît Frédéric Thomas, mais ils butent sur l’absence de coordination et de pilotage de la reconstruction par les Haïtiens eux-mêmes. L’aide humanitaire n’a pas répondu au coût social du séisme. »
Le constat est partagé par de nombreuses ONG présentes sur place. La crise politique et le « pey lock », le blocage économique qui paralyse l’île depuis septembre, freinent leurs actions. « Plus rien ne fonctionne : pas de gouvernement, pas de services publics, pas d’eau, pas d’essence, pas de nourriture pour les orphelinats, pas de médicaments, 2 millions d’enfants ne sont pas scolarisés depuis la rentrée », énumère Justine Muzik Piquemal, directrice des opérations de l’ONG Solidarités International. « Nous avons été surpris par le niveau de malnutrition. Plus de 500 000 personnes (sur 12 millions d’habitants) sont en situation de préfamine, un Haïtien sur trois est en insécurité alimentaire », estime Justine Muzik Piquemal. En revanche, poursuit-elle, « la seule bonne nouvelle est qu’aucun cas de choléra n’a été recensé depuis onze mois. Il faut espérer qu’aucune catastrophe naturelle ne vienne à nouveau anéantir ces efforts » (…)
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Manifestations, corruption, paralysie… Dix ans après le séisme du 12 janvier 2010, Haïti vit en état de crise permanent (Adeline Mullet, Frédéric Thomas / CETRI)
Les Haïtiens continuent de réclamer la démission du président, Jovenel Moïse, et manifestent contre la misère, les pénuries et la corruption.
Article paru sur FranceTVinfo.
C’est une série de chiffres qu’Haïti préférerait oublier. Le 12 janvier 2010, un terrible séisme, de magnitude 7,3, frappe le pays de plein fouet. Le bilan est effroyable : 220 000 morts, 300 000 blessés, 1,5 million de sans-abri. Dix ans plus tard, le pays ne s’est toujours pas relevé et a sombré dans une crise sociale sans précédent. D’abord sporadique, celle-ci court désormais sans interruption depuis presque trois mois, les Haïtiens manifestant contre la misère, les pénuries et la corruption.
Et pour cause. En octobre 2016, alors qu’il est encore en pleine reconstruction, le pays le plus pauvre des Amériques subit de nouveau les intempéries, avec le passage de l’ouragan Matthew qui rase le Sud. Un mois et demi plus tard, l’élection à la présidence de Jovenel Moïse achève d’ébranler sa fragile stabilité. Elu au premier tour d’un scrutin où le taux de participation n’a pas dépassé les 21%, cet entrepreneur agricole est, depuis, empêtré dans plusieurs scandales de corruption. Parmi eux, le dossier PetroCaribe, du nom de l’accord énergétique entre Haïti et le Venezuela, qui devait permettre au pays d’acquérir du pétrole à un prix favorable et de garder 60% du montant de la vente – à rembourser plus tard – pour financer des projets sociaux. Sur le papier, en tout cas.
La Cour supérieure des comptes du pays a finalement estimé que près de trois milliards de dollars de ce fonds avaient été détournés, dont une partie aurait fini dans les poches du président haïtien. « C’est un hold-up, comme Haïti en a beaucoup connu. Le pays est l’un des plus corrompus dans le monde », souligne Christophe Wargny, universitaire et auteur de plusieurs ouvrages sur Haïti (…)
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