Haïti une nouvelle fois dans l’incertitude politique
Depuis ce dimanche, Haïti n’a plus de président. Michel Martelly a quitté le pouvoir sans pouvoir remettre l’écharpe présidentielle à un successeur élu. Depuis, c’est le Premier ministre Evans Paul qui tient les rênes du pays.
Il est très difficile de prévoir ce qui va se passer en Haïti dans les jours à venir. La Constitution haïtienne, amendée en 2011, ne prévoit pas de cas de vacance du pouvoir. Pour y remédier, un accord de dernière minute a été signé samedi 6 février entre Michel Martelly et les présidents des deux Chambres du Parlement haïtien.
Selon ce texte, l’Assemblée nationale dispose de cinq jours pour élire un président provisoire. Un laps de temps qui paraît plutôt court quand on sait que les candidats peuvent se faire connaître dès aujourd’hui, mais que les parlementaires doivent d’abord s’entendre sur les critères de recevabilité d’une candidature avant de faire leur choix.
Rumeurs sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux bruissaient de rumeurs ce lundi. Différents noms circulent, dont celui du président du Sénat, Jocelerme Privert, ou encore celui de Jules Cantave, qui est toujours président de la Cour de cassation, bien que son mandat soit arrivé à terme en décembre dernier. Mais aucun des éventuels intéressés n’a encore officialisé sa candidature.
Une fois le nom du président intérimaire connu, un nouveau Premier ministre de consensus doit être désigné. L’accord signé samedi dernier prévoit que le président provisoire entame des consultations avec tous les secteurs de la vie haïtienne pour constituer une liste de noms de candidats. En revanche – et cela pourrait poser problème –, le texte ne dit pas concrètement qui désignera le nouveau chef du gouvernement haïtien. Il est simplement écrit que le nom de ce nouveau « Premier ministre de consensus » doit être validé par le Parlement et que son nouveau gouvernement et lui doivent recevoir le vote de confiance des élus.
Un second tour le 24 avril
Haïti doit aussi organiser le second tour des élections présidentielle et législatives partielles, reporté à deux reprises sine die. Un nouveau calendrier électoral est d’ores et déjà fixé par l’accord. D’après le texte, les scrutins devraient se tenir le 24 avril prochain, afin d’installer un nouveau président élu de la République le 14 mai. Mais ce calendrier paraît pour le moins serré quand on sait la multitude d’obstacles qu’il faudra surmonter avant de pouvoir envisager l’organisation du second tour.
Le plus important sera la reconstitution du Conseil électoral provisoire. Dans le sillage de la crise, les conseillers électoraux ont démissionné à la chaîne ces dernières semaines. Ce fut le cas du président du CEP, Pierre-Louis Opont. Avec désormais trois conseillers sur neuf, l’institution électorale haïtienne est aujourd’hui inexistante. C’est pourtant elle qui devra fixer un nouveau calendrier électoral.
Un accord qui divise
La communauté internationale salue l’accord signé et le calendrier qu’il comporte. A l’inverse, et c’était prévisible, l’opposition le rejette. Pour l’alliance des huit candidats présidentiels, le Parlement ne devrait pas décider du nom du futur président provisoire, car le Parlement fait partie de la crise.
En effet, le premier tour des élections législatives du 9 août dernier a été émaillé de violences et d’irrégularités. De nombreux élus qui siègent aujourd’hui au Parlement sont soupçonnés d’avoir gagné leurs sièges par fraude ou achat de votes. Mais l’opposition voit surtout dans le nouveau calendrier la preuve que certains souhaitent en finir coûte que coûte avec un processus électoral qu’elle qualifie de farce. Et ce, alors que les résultats du premier tour n’ont pas été vérifiés, ce que l’opposition réclame pourtant depuis des mois.
La rue toujours remontée
Les manifestants anti-Martelly étaient encore nombreux dimanche dans les rues de Port-au-Prince. Ils se sont réjouis du départ du président sortant, mais ont aussi fait éclater leur colère contre l’accord qui doit régler la mise en place du gouvernement de transition. Arrivés sur la place du Champ de Mars, au centre-ville de la capitale, les manifestants ont démoli des stands érigés pour le Carnaval. La police est intervenue avec des gaz lacrymogènes pour disperser la foule.
Le Premier ministre démissionnaire Evans Paul a appelé dimanche soir à une trêve pour permettre cette transition dans la sérénité. Mais il n’est pas certain qu’il sera entendu par tous. Pour Haïti, c’est en tout cas une nouvelle phase d’attente qui commence sans que personne ne puisse dire quand elle prendra fin.
Source :
Stefanie Schüler
RFI, 09 février 2016