Immigration : en Argentine, Mauricio Macri sur les traces de Trump

Au prétexte de lutter contre l’insécurité et le narcotrafic, le président argentin a fait passer un décret restreignant les droits des étrangers, rompant ainsi avec la tradition d’accueil du pays.

«Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas et les Argentins descendent des bateaux» : l’histoire du peuplement de l’Argentine, faite de vagues successives d’immigration, est incrustée profondément dans l’identité du pays. Elle affleure dans les consonances des noms de familles, dans les traditions culinaires importées ou dans l’architecture qui fait qu’on a toujours l’impression d’être un peu ailleurs. Jusqu’à la semaine dernière, ce pays était encore l’un des plus accueillants au monde. Mais sa politique migratoire vient de changer.

Procédures d’expulsions accélérées et facilitées, renforcement des contrôles aux frontières : le président de droite, Mauricio Macri, a fait passer la semaine dernière un décret qui lui vaut d’être comparé par l’opposition de gauche à Donald Trump. Selon le gouvernement, il s’agit en premier lieu de lutter contre l’insécurité et le narcotrafic. Ce sont les personnes ayant des antécédents judiciaires qui sont en premier lieu visées : tout aspirant à entrer dans le pays condamné chez lui à plus de trois ans de prison sera refoulé ; tout délinquant sur le sol argentin pourra être expulsé sous trente jours.

«Xénophobie»

Pour justifier ces mesures, la très controversée ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, a tordu les chiffres, affirmant que les étrangers représentaient plus de 20 % de la population carcérale, quand ils ne sont en fait que 6 %. «Ici arrivent des Péruviens, des Paraguayens et des Boliviens qui finissent par s’entre-tuer pour le contrôle de la drogue, a-t-elle martelé. Beaucoup se compromettent en tant que financiers, mules, chauffeurs, ils font partie de la chaîne du narcotrafic.»

Le message politique est clair et la parole s’est libérée. Un député conservateur catholique, Alfredo Olmedo, a même proposé la construction d’un mur à la frontière bolivienne, revendiquant ouvertement une inspiration venue du nouveau président américain. Ces déclarations ont fait naître des tensions diplomatiques dans la région. Le président bolivien, Evo Morales, a dépêché à Buenos Aires une délégation menée par le président du Sénat en Argentine pour freiner «cette vague de xénophobie». Il s’est adressé à ses homologues : «Frères, présidents sud-américains, nous ne pouvons pas suivre les politiques migratoires du Nord.» L’opposition s’organise pour faire échouer ce décret, critiquant également l’utilisation «abusive» de Mauricio Macri des Décrets de nécessité et d’urgence (DNU), prévus par la Constitution, qui permettent au Président de passer par-dessus le Congrès. En quatorze mois de présidence, Mauricio Macri en a émis 25. Le prix Nobel de la paix argentin, Adolfo Pérez Esquivel, a lui aussi critiqué durement ces mesures. «Il s’agit de la même politique que celle de Donald Trump, la fermeture, la stigmatisation. Macri désigne un ennemi extérieur pour détourner l’attention des problèmes économiques liés à sa gestion.» La politique libérale du chef de l’Etat, notamment la suppression des subventions aux services tels que l’eau, l’électricité, le gaz ou les transports, a en effet entraîné une inflation qui nuit principalement aux classes populaires.

Austérité

Pour sortir de la récession dans laquelle elle est entrée, l’Argentine attend fébrilement des investissements étrangers, annoncés par le gouvernement mais qui tardent à arriver. Les mesures d’austérité se multiplient dans la bronca générale : la dernière en date prévoyait de baisser le montant des retraites. Au-delà des préoccupations sécuritaires annoncées pour légitimer ce décret migratoire, le gouvernement sous-entend depuis plusieurs mois que le modèle gratuit de santé et d’éducation serait trop généreux envers les non-Argentins. Il avait l’année dernière demandé aux universités publiques de faire la liste de leurs étudiants étrangers, avant de reculer face au tollé général et suggérer que la prise en charge gratuite dans les hôpitaux devrait être réservée aux nationaux.

«Ces mesures, ce climat réveillent une fibre xénophobe latente dans la population», s’inquiète Maria Inés Pacceca, anthropologue spécialiste des migrations. Les enquêtes d’opinion montrent en effet qu’une majorité d’Argentins soutient ces nouvelles mesures, alors que les élections législatives de la fin de l’année s’annoncent compliquées pour le Président. Parmi les millions d’aventures personnelles d’immigration qui tissent l’histoire du peuple argentin, celle de Mauricio Macri n’est pas en reste. Son père, Franco Macri, est arrivé d’Italie en compagnie de deux de ses frères à l’âge de 18 ans, sans parler un mot d’espagnol. Lui aussi est descendu du bateau.

Mathilde Guillaume correspondante à Buenos Aires

http://www.liberation.fr/planete/2017/02/16/immigration-en-argentine-mauricio-macri-sur-les-traces-de-trump_1548946