Le Brésil : un pays à la dérive juridique ?

Le 17 avril 2016 marquera l’histoire politique du Brésil. Pour la première fois la jeune démocratie brésilienne est entachée par un procès politique sans fondement juridique qui viole le précepte constitutionnel. Comme l’a dit Jessé Souza, Président du Centre de Recherches d’Economie Appliqué (IPEA) au Brésil « C’est un coup d’Etat sans respect de la souveraineté populaire, le point de départ d’une période  de chaos et de violence (…) Le coup d’état a un bras médiatique qui a mené une campagne de combat sélective contre la corruption, qui est le la clé de la manipulation d’un public mal informé. Ce coup répond aux besoins économiques de la classe dominante. Il ne s’agit pas  d’un combat contre la corruption, mais de la lutte pour le pouvoir par les puissants ».

La Chambre des députés du Brésil n’a pas tenu compte de l’accusation de la présidente de crime de responsabilité, l’argument de «pédalage fiscal» a été laissé de côté. A  aucun moment ce sujet n’a été abordé par les députés qui ont voté « oui à la destitution ». Dans ce contexte,il est parfaitement naturel de dire qu’il y a bien eu un coup d’état parlementaire. Que dira la Cour Suprême du Brésil devant ces députés qui ont décidé de déchirer les pages de la Constitution en public sans aucun respect du suffrage universel ? Selon l’Art 14 du texte, la souveraineté populaire est exercée par le suffrage universel et au scrutin direct et secret, avec une valeur égale pour tous. La grande question aujourd’hui est celle de la défense de la citoyenneté, de la démocratie, de la Constitution. Le silence de la Cour Suprême devant ce spectacle de pyromanes est assourdissant. La Cour suprême doit assumer pleinement son rôle de garant des droits constitutionnels. Elle est la seule capable de mettre fin à l’anarchie juridique actuellement au Brésil.

Il est surréaliste de voir le Président de la chambre des députés Eduardo Cunha présider la session alors que lui-même est mis en examen pour corruption passive et blanchiment d’argent. De surcroit, il est cité dans la liste des Panama Papers, en tant que propriétaire d’une société off-shore suspectée d’évasion fiscale. Sa réputation de gangster parlementaire semble se confirmer et une question se pose : Comment cet homme peut-il juger une femme décente qui n’est accusée d’aucun crime ? Le comble de cette crise institutionnelle est de voir ce député ultraconservateur du PMDB en position de devenir vice-président du Brésil. Il est aussi connu pour être le représentant principal du groupe “BBB”, pour “Bœuf, Bible, Balles”, un collectif qui défend rien de moins que les intérêts des lobbies de l’agro-business, des églises évangéliques et des armes à feu. Accusé de nombreux crimes, il est poursuivi par la Cour suprême. Ce constat, à lui seul, devrait enlever toute légitimité politique au processus de destitution dans son ensemble.

Un nouvel élément inquiétant au sein de la chambre des députés ce dimanche 17 avril est la référence à un repoussoir déjà utilisé pour renforcer le coup d’Etat militaire de 1964: La religion, la famille, Dieu et la sauvegarde  de la patrie contre la corruption.

Le ton martial utilisé par les députés partis en croisade était stupéfiant, comme s’ils voulaient être considérés comme les plus honnêtes gens du pays. Pourtant, la plupart d’entre eux ont été élu avec l’argent de la corruption politique, soutenue par les entreprises. Des dizaines de parlementaires principalement ceux du groupe connu comme BBB (Bœuf, Bible, Balle) encore lui, liés au courant  évangélique et à l’agro-business ont voté en invoquant le nom de Dieu. La majorité des parlementaires a dédié son vote à la famille, citant les noms de leur femme, grand-mère, enfants et petits-enfants, un spectacle accablant pour la politique digne d’une  république bananière. La mascarade a même tourné à l’hystérie collective. Au milieu des cris, les députés  portaient des pancartes avec leurs slogans respectifs et ils ont même organisé un loto comme s’il s’agissait d’une course hippique ou d’un match de football. Finalement, ils nous ont donné en pâture un spectacle indigne des représentants du peuple. Les députés de gauche ont eu du mal à faire entendre leur  voix au milieu des  cris et des insultes.

La chambre des députés est dominée pas des analphabètes politiques, des conservateurs qui ont choisi une voie différente de la démocratie basée sur le suffrage universel. Aujourd’hui cette majorité a perdu toute autorité morale pour représenter le peuple brésilien et mène le pays au chaos. Leur seul projet pour le Brésil est le retour du néolibéralisme. Une fois de plus, ceux qui en souffriront ce sont les 40 millions de brésiliens que les gouvernements de Lula et Dilma ont faire sortir de l’exclusion.

Le président de Santander au Brésil, Sergio Rial, a déclaré dans une interview avec au journal Folha de São Paulo que le Brésil va bientôt sortir de la crise. Pour cela, l’exécutif de l’une des plus grandes banques privées opérant au Brésil estime qu’il est nécessaire de maintenir l’ordre démocratique: « Ce n’est pas le coup d’état qui va conduire à une solution. Soit dit en passant, il n’y a pas de solution à la crise  institutionnelle. Il n’y a que le chaos. » Pour Rial, le pire de la crise économique est passé. « Je pense que l’activité économique a tout pour redémarrer. Le secteur privé a déjà fait son adaptation». 

La procédure de destitution de la Présidente du Brésil est à présent entre les mains du Sénat, qui pourrait l’écarter du pouvoir dès la première quinzaine de mai pendant un maximum de six mois par un vote à la majorité simple. En attendant un jugement final le «chaos» politique s’aggrave ainsi que les perspectives de reprise l’économie qui s’éloignent…Sans compter que le pays est complètement divisé.

Si Dilma Roussef est destituée, elle sera remplacée par son vice-président, Michel Temer, lui aussi accusé d’avoir reçu des pots-de-vin. S’il devrait être démis à son tour de ses fonctions, la Constitution prévoit que c’est le président de la Chambre des députés qui devrait assurer la présidence du pays. C’est ainsi qu’Eduardo Cunha, le plus corrompu de tous, au lieu d’aller en prison, deviendrait le Président du Brésil !

Notre pays sera-t-il orphelin de ses droits constitutionnels, à la dérive juridique, sujet de temps à autres à tels coups d’état politiques ? Est-il sur le point de devenir une république bananière ? J’ai honte pour mon pays !

A qui la faute ?

Aujourd’hui personne ne peut exempter l’alliance médiatico-politico-juridique d’avoir joué un rôle  dans cette situation ce chaos politique et économique du  Brésil. Les moyens de communication ont transformé la politique en une caricature, un spectacle, la privant de toute substance. La grande presse et les chaînes de  télévision ont été un instrument de propagande insufflant la haine et la polarisation de la société brésilienne. Ils ont insufflé le pessimisme dans l’avenir économique du Brésil. La presse n’a pas remplie sa mission d’informer ni celle de servir de contre-pouvoir, garant de la démocratie. Elle a malheureusement construit un discours partisan contre les gouvernements du PT désigné comme le seul responsable de la corruption au Brésil, alors mêmes que les scandales de corruption touchaient l’ensemble des partis politiques de droite. Plus que jamais, il est claire que le but recherché n’était pas le combat contre la corruption, mais la chute du gouvernement de Dilma Rousseff. Les secteurs juridiques conservateurs ont transformé les affaires juridiques de l’opération « Lave-Jato » en opération politique avec le soutien médiatique incontournable des grands journaux conservateurs « Estadao », « Folha de Sao Paulo ».  Ces deux grands journaux du Brésil appartiennent à deux grandes familles, Mesquita et Frias. Le réseau GLOBO de Télévision est la propriété de la famille Marinho qui possède également des stations de radio, des journaux et des magazines – domaine où il est en concurrence avec Roberto Civita, qui contrôle le Grupo Abril (tous deux détiennent environ 60% du marché du livre). Il faut souligner que plus de 30% des concessions de radio et de télévision au Brésil sont dans les mains du Congrès.

Il y a 27 sénateurs et 53 députés qui sont des partenaires ou des proches des propriétaires de sociétés de médias concessionnaires du service public. Pour cette raison à chaque fois que le débat s’ouvre sur le besoin de pluralité des moyens de communication au Brésil, il est immédiatement disqualifié. Par ailleurs, toute tentative de briser l’oligopole – interdit par la Constitution – a été considérée comme un acte autoritaire qualifié de «dictature bolivarienne du PT. »

A quelques exceptions prés, certains correspondants de la presse étrangère ont préféré faire du copie/coller sans faire d’analyse politique. Ils ont largement contribué à déformer la réalité brésilienne. Difficile de savoir si c’est par manque d’information sur la complexité politique du Brésil, mais le plus souvent ils n’ont pas tenu compte de la partialité du monde médiatique au Brésil, préférant une forme d’adhésion à cette nouvelle conception de faire du journalisme. La Présidente Dilma Rousseff est présentée définitivement en position d’accusée. Ces journalistes n’admettent pas qu’elle soit la présidente du Brésil, réélue il y a à peine un an, et qu’elle résiste avec les moyens de l’Etat de droit à une flambée réactionnaire dans le pays (voir dans mon blog Mediapart). Heureusement l’Internet existe, ainsi que la presse alternative pour informer sur la grave crise politique institutionnelle et déconstruire le discours mensonger et réactionnaire sur le Brésil. L’internet est l’espoir d’un avenir où l’information est partagée et distribuée de telle sorte que tout citoyen peut faire sa propre opinion.

Il est certain  que ce coup d’état parlementaire a été fait sous la pression des médias et d’une frange conservatrice du système judiciaire au travers des plaintes sélectives. Cela démontre, de plus en plus, qu’il est nécessaire de reconstruire la démocratie. Seule une réforme politique donnera une légitimité sociale à la reconstruction démocratique. Il est urgent de mettre fin à la corruption des politiciens élus avec les dons des entreprises. Et ce processus passe par l’Assemblée constituante.

Le pays est face à un parlement qui représente très bien le pouvoir économique et très mal la pluralité du peuple brésilien. Il suffit de regarder la composition actuelle de la Chambre des députés, où la majorité d’élus représente les secteurs les plus conservateurs et réactionnaires. Par exemple : le secteur agricoles et agro-business (257 élus), les hommes d’affaires (190 élus), les riches pasteurs et membres des églises évangéliques (52 élus), les anciens membres de la police (56 élus). Les représentants des travailleurs ne sont que 46 élus. Le résultat est là, ces députés ont pratiqué le blocage de toutes les lois présentées par le gouvernement.

Les défenseurs de l’idéologie néolibérale, adeptes de la guillotine des droits ont toujours exprimé leur allergie à l’État protecteur du bien-être, régulateur socio-économique, ils sont adeptes de l’Etat Entrepreneur sans souveraineté, capable de s’adapter à la nouvelle réalité de la globalisation économique. Ainsi, dès le début, ils ont commencé à mettre en cause les acquis sociaux au travers des programmes d’inclusion sociale, ainsi que la mise en cause des droits humains, défense de l’égalité et de la promotion des libertés. Aujourd’hui la majorité des  députés a voté pour la destitution de la Présidente Dilma Rousself.

Reste la grande question : Comment créer un système politique structuré parla souveraineté populaire? Aujourd’hui, nous avons au Brésil une démocratie sans peuple, un système dans lequel la citoyenneté n’exerce pas le pouvoir. La véritable réforme politique est une réforme du pouvoir et non pas seulement du système électoral.

 

 

Source : 

Marilza de Melo Foucher

Médiapart, 25 avril 2016