Mea culpa : j’ai été solidaire du chavisme et de la révolution bolivarienne

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“Se taire, se terrer : jamais ! J’ai effectivement peur que l’Amérique latine ne revive à nouveau quelques années de plomb, mais elle y résistera d’autant mieux qu’elle vient de vivre 15 ans d’émancipation, de laboratoire anti-néolibéral. “

Papa, tu m’as donné de mauvaises habitudes ; j’aurais dû m’élever tout seul. Or tu m’obligeais à écouter, avant le « marchand de sable », « la Pirenaica », « Radio España Independiente » ; de la propagande soviétique de l’époque !! Tu me cassais les pieds avec ton « internationalisme », avec Rol, Fabien, tu oubliais le poète cubain Pablo de la Torriente Brau, mort sur le front de Madrid… C’est vrai que les Brigades étaient chez toi, à Albacete, à Madrigueras, à La Manchuela (la « petite Russie »), et que « el abuelo », le grand-père, allait avec son attelage leur amener « lo poco que teníamos » (le peu que nous avions), des melons, des lentilles. Il le payera d’un long emprisonnement… Pour s’être pris le melon, lui aussi, « internationaliste ».
En grandissant (on peut grandir sans devenir vieux), fasciné par un « provocateur » : le Che, j’ai compris que l’internationalisme était « la solidarité de classe des exploités ». Quel jargon ! De la langue de bronze !
Alors, lorsque j’ai vu arriver Chavez, j’ai foncé sur-dans la muleta chaviste . Un ancien gamin des rues, un mélange de Noir et d’Indien, un militaire vraiment de gauche, prend démocratiquement les commandes d’un processus inédit de libération. J’ai beaucoup écrit, menti par « esprit de parti », aliéné le peuple. Crucifiez-moi !
On me demande pourquoi aujourd’hui je me tais. Se taire, se terrer : jamais ! J’ai effectivement peur que l’Amérique latine ne revive à nouveau quelques années de plomb, mais elle y résistera d’autant mieux qu’elle vient de vivre 15 ans d’émancipation, de laboratoire anti-néolibéral. Des « années dorées ». Certes la conjoncture s’est retournée, le rapport des forces s’est inversé, mais les acteurs, les hommes, « un homme, ça peut être détruit mais pas vaincu ». Cela me revient… c’est dans « Le vieil homme et la mer » du colosse de la Vigía, la « finca » hemingwayenne de La Havane.
J’écris moins parce que j’essaie d’être plus généraliste que spécialiste, de réfléchir tous azimuts… Désolé pour mes ex-collègues. Aurais-je peur de l’avalanche médiatique qui te tombe dessus dès que tu ne craches pas sur MADURO, ou que tu essaies de faire entendre un point de vue différent. Pas du tout. J’adore les lynchages médiatiques lorsque ils te viennent de la haine de classe, de la hargne des classes dominantes… Il doit y avoir des raisons… de classe. La pensée bien pensante interdit la pensée critique, pluraliste. Tu deviens un « agent de l’ennemi » si tu vas à contre-courant, tu es inaudible si tu te lèves et penses par toi-même. La dictature chaviste a plongé le pays dans la ruine, affamé le peuple avant de le bâillonner et de le massacrer. C’est le nouveau credo libéral.
Comment as-tu pu soutenir cette horreur ? Les pétrodollars camarade ! Une retraite dorée !
C’est vrai que la situation économique est franchement mauvaise au Venezuela, que beaucoup de pauvres ont accédé grâce au chavisme au statut de couches moyennes et en oublient l’essentiel, c’est vrai que la bureaucratie, la corruption et surtout la guerre économique de la droite et de l’oligarchie, ont provoqué des queues interminables, une inflation record… C’EST VRAI ! C’EST VRAI ! C’EST VRAI !
Les « amis de la liberté » y ajoutent : les prisons saturent, on y torture, on y viole, on y pratique les « disparitions », les « vols de la mort », la lobotomisation des cerveaux, l’interdiction de tous les médias de droite, etc.
Et j’ai soutenu ça, la terreur ! Réveille-toi Orwel ! Mea culpa ! « Me meo de risa », je me marre. Dois-je me reprocher d’avoir été simplement solidaire ? La voix de la raison, c’est comme de bien entendu, le FMI, la CIA, Fedecamara (le Medef vénézuélien), le Pentagone, « Le Monde », l’UE, TF1,2,3,4,5, « El País »… Eux, ils savent pourquoi ils aiment tant le chavisme. Qu’ils me permettent donc de leur présenter mes modestes excuses, en forme de bras d’honneur. C’est vrai : c’est la merde, mais que chacun commence par assumer ses responsabilités. On ne meurt pas de malnutrition à chaque coin de rue à Caracas ! Après tous les 49-3, les matraquages, je n’ai pas envie de hyener avec les hyènes.
Et bas les pattes à Washington ! Quel bonheur lorsque Chavez s’est écrié, « Allez vous faire foutre, yanquis de merde ! » Et même si la droite revenait au Venezuela, je sais que demain il y aura d’autres alternances qui profiteront de l’expérience et se transformeront en alternatives. Les plus pauvres, les « riens », n’ont pas la mémoire courte. Ils continueront à se forger un destin d’émancipation. Alors oui, je ne regrette pas d’avoir soutenu, et de continuer à soutenir le chavisme et les luttes de tous les damnés de la terre. Une barricade n’a que deux côtés. Même si parfois « notre vin est aigre», disait « l’apôtre », le Cubain José Marti, « c’est notre vin ».

 

Source :

Jean Ortiz

Chroniques Latines – L’Humanité

17 juin 2016