Mexique. À Oaxaca, les éoliennes de la colère (Rosa Moussaoui / L’Humanité)


Dans l’isthme de Tehuantepec, les communautés indigènes dénoncent les mégaprojets industriels et énergétiques portés par des multinationales.

L’État d’Oaxaca, dans le sud du pays, compte 28 parcs éoliens, dont trois sont exploités par EDF.
Photo : Francisco Santos / EFE / MaxPPP

Sur la route de la Ventosa, au cœur de la plaine côtière qui s’étire vers l’océan, une haute et dense forêt d’acier surplombe les champs de maïs. Des centaines d’éoliennes ont poussé, ces dernières années, sur ces terres balayées par des vents puissants. L’isthme de Tehuantepec, ce corridor de 200 kilomètres entre Atlantique et Pacifique, est devenu l’eldorado des énergies renouvelables, dont le précédent gouvernement du président Enrique Peña Nieto (PRI, droite) entendait porter la part à 60 % d’ici à 2050 dans le mix énergétique du pays.

Dans l’État d’Oaxaca, 28 parcs éoliens ont déjà vu le jour dans les municipalités de Juchitán, Santo Domingo Ingenio, Ixtaltepec, Unión Hidalgo, El Espinal et Ciudad Ixtepec, principalement exploités par des entreprises espagnoles, françaises et allemandes.

Violation des droits sociaux

Au total, une trentaine d’opérateurs investissent dans ce secteur. Parmi eux, le français EDF, qui exploite depuis longtemps déjà, via sa filiale EDF EN Mexico, trois parcs éoliens dans l’État d’Oaxaca : La Mata Ventosa (27 turbines), Bii Stinu (82 turbines), Santo Domingo (80 turbines). L’électricité produite par ces centrales est achetée par des groupes internationaux et mexicains. Au printemps 2017, le patron d’EDF EN Mexico, Gerardo Pérez Guerra, annonçait la mise en chantier d’une quatrième ferme de 115 éoliennes sur la commune d’Unión Hidalgo, avec un investissement de 500 millions de dollars : le projet Gunaá’Sicarú.

Seulement voilà : dans la région, l’implantation de parcs éoliens allume d’innombrables conflits. Les communautés autochtones dénoncent des investissements entachés de violations de leurs droits sociaux, économiques et culturels. Régulièrement, des manifestations sont violemment réprimées par la police. Les protestataires dénoncent des contrats conclus dans l’opacité et font valoir, entre autres, que la vente ou la location de terres communautaires est illégale, au regard de la loi mexicaine, si les indigènes concernés ne sont pas réunis en assemblée et consultés dans leur langue maternelle.

Autres motifs de colère, la faiblesse des rétributions concédées par les investisseurs, ou encore le non-respect de clauses prévoyant la fourniture d’électricité aux communautés locales. Faux, rétorque Gerardo Pérez Guerra, qui dénonce « la manipulation politique par des tiers sans liens avec les projets ». Depuis 2017, la mobilisation ne connaît pas de trêve dans la commune d’Unión Hidalgo, où les habitants ont engagé de multiples recours pour faire annuler le permis octroyé à EDF pour l’ouverture de son quatrième parc éolien. « Les projets éoliens affectent les ressources naturelles, la santé, l’économie, la sécurité et l’organisation sociale de la communauté. Ils causent des dommages à l’environnement », soutient Guadalupe Ramírez Castellanos, une représentante de la communauté zapotèque.

Conversion économique radicale

Les mégaprojets énergétiques sèment la division, fragilisent les équilibres villageois, mettent en péril certaines activités agricoles. Mais, surtout, ils traduisent une conversion économique radicale de la région, théâtre d’un profond mouvement de contestation sociale et culturelle. « En fait, ces investissements portés par des multinationales sont sans rapport avec la transition écologique à laquelle nous aspirons, ils ne profitent pas aux populations. Ils sont l’une des manifestations de notre intégration forcée à la globalisation néolibérale. Nous résistons à ce modèle économique imposé, qui sacrifie nos droits, nos terres, nos façons de vivre », résume Carlos Beas Torres, coordinateur de l’Union des communautés indigènes de la zone nord de l’isthme de Tehuantepec (Ucizoni).

À Unión Hidalgo, s’alarme le CCFD-Terre solidaire, les membres du peuple zapotèque n’ont jamais été consultés sur le mégaprojet Gunaá’Sicarú « conformément aux principes relatifs au consentement libre, informé et préalable, tel que reconnu par la Constitution mexicaine et les conventions de droit international. La violation de ce droit a entraîné, en conséquence, une escalade de la violence envers les membres de la communauté ».

Rosalba Martínez, membre de l’assemblée de comuneros d’Unión Hidalgo, en témoigne : « EDF a corrompu le cœur de nos habitants. Ils ont promis des emplois à nos jeunes, mais tout ce que nous voyons, c’est la mort des défenseurs des droits humains. » Pendant trois ans, les procédures judiciaires intentées contre ce projet ont été ignorées et passées sous silence par EDF et l’État français. Le 13 octobre 2020, les représentants de la communauté zapotèque, appuyés par des associations, ont finalement porté l’affaire devant la justice française, en assignant EDF pour non-respect de ses obligations sur le devoir de vigilance.

« Mensonge, extorsion, spoliation »

« Tous ces mégaprojets industriels et énergétiques s’accompagnent d’une militarisation de nos territoires et de programmes d’assistance visant à fragmenter nos communautés. Pour les imposer, leurs promoteurs ont tous recours aux mêmes stratégies de mensonge, d’extorsion, de spoliation ! » s’insurge María de Jesús Patricio Martínez, dite Marichuy, porte-parole du Congrès national indigène.

Dans l’isthme de Tehuantepec, la première éolienne a été implantée en 1994, au moment même où les États-Unis, le Mexique et le Canada ratifiaient l’accord de libre-échange nord-américain (Alena), avec l’objectif de « créer les conditions favorables pour la circulation des marchandises, du pétrole, des minéraux et de l’énergie ». La création d’un « couloir du vent » s’inscrit dans cet agenda de libéralisation du marché de l’énergie.

Un secteur sur lequel le gouvernement de gauche du président Andrés Manuel López Obrador entend désormais reprendre la main : en mars dernier, il faisait voter au Sénat une réforme redonnant un rôle de premier plan à la compagnie publique CFE (Commission fédérale de l’électricité), au détriment des investisseurs privés qui ont fait des énergies dites « propres » leur bannière. L’opposition et le patronat ont alors crié en chœur à « la violation de la libre concurrence ».

Article publié le 26 octobre 2021 réservé aux abonné.e.s de l’Humanité mais reproduit ici avec l’aimable autorisation de la journaliste.


Voir également : Mexique : des responsables autochtones dénoncent les « méga-projets destructeurs » (Maïa Courtois – Rapports de force / Antoine Legrand – Médiacoop)