Mexique : une Indienne candidate à la présidence
L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) adopte un tournant stratégique alors qu’elle avait jusqu’ici rejeté le système politique. Les représentants de 58 peuples indigènes du Mexique ont désigné, dimanche 28 mai dans l’Etat du Chiapas (sud), une candidate indépendante à l’élection présidentielle de 2018. Soutenue par l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), l’initiative marque un tournant stratégique pour le mouvement de l’ancien sous-commandant Marcos, qui a toujours rejeté le système politique, les partis et la conquête du pouvoir.
María de Jesús Patricio, indienne nahua de 57 ans, a été élue, dimanche, par les membres du Conseil indigène de gouvernement (CIG), créé la veille à San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas, par 230 dirigeants zapatistes et plus de 800 délégués indiens venus de 26 États du Mexique. Cette guérisseuse traditionnelle de l’État de Jalisco (ouest), mère de trois enfants, a aussi été nommée porte-parole du CIG, chargé de défendre les droits des 16 millions d’Indiens mexicains. Le charismatique sous-commandant Marcos, qui se fait appeler Galeano depuis 2014, a participé sans faire de déclaration à l’événement, organisé vingt-trois ans après le soulèvement armé des zapatistes au Chiapas.
Donner une visibilité aux communautés indiennes
C’est une petite révolution pour l’EZLN, qui refusait jusqu’alors de jouer le jeu des institutions, jugées discriminantes envers les Indiens. « Notre lutte n’est pas pour le pouvoir, mais un appel aux peuples originaires et à la société civile à renforcer notre résistance », avait clarifié l’EZLN dans un communiqué, en octobre 2016, juste après l’annonce de la nomination d’une candidate indienne à la présidentielle. Un mois plus tard, l’EZLN précisait que la candidate ne serait pas choisie dans ses rangs, mais au sein du Conseil national indigène, créé en 1996.
« L’objectif de l’EZLN n’est pas de remporter l’élection mais de donner une visibilité médiatique à la cause des communautés indiennes », explique Gilberto López y Rivas, anthropologue et spécialiste du mouvement zapatiste. Sept Indiens sur dix sont pauvres, soit près du double de la population mexicaine, selon les chiffres du gouvernement. « Sans compter l’analphabétisme, les problèmes d’accès à l’eau potable et l’exploitation abusive de leur terre par des mégas projets miniers, pétroliers ou hydrauliques », précise M. Lopez y Rivas, qui a été conseiller de l’EZLN en 1996, lors des négociations des accords de San Andrés, reconnaissant le droit à l’autodétermination des peuples indigènes.
Ce pacte, qui n’a jamais été appliqué dans sa totalité, avait amené les zapatistes à rompre les négociations avec le gouvernement et les partis politiques. Après l’échec, en 2006, de l’« autre campagne », caravane zapatiste qui avait traversé le Mexique pour unir les minorités du pays, l’EZLN était sorti de la scène publique pour se réorienter vers l’organisation de municipalités autogérées, appelées caracoles.
« Acte symbolique dans un pays machiste »
Onze ans plus tard, l’EZLN fait son retour dans l’arène politique nationale, profitant d’une réforme constitutionnelle, entrée en vigueur en 2014, qui autorise les candidatures électorales indépendantes. « L’EZLN n’a jamais été abstentionniste, mais reste antiparti, souligne M. Lopez y Rivas. La désignation d’une candidate, femme et indienne, est un acte symbolique dans un pays machiste, visant à redonner du souffle aux aspirations d’émancipation des peuples indigènes, mais aussi des autres victimes du néolibéralisme. »
Les accords constitutifs du CIG précisent que l’organisme est chargé d’organiser politiquement les communautés indiennes, selon une logique de prises de décision horizontales et collectives, respectueuse de leurs us et coutumes respectifs. La nouvelle autorité indigène devra se focaliser« sur les moyens pratiques pour transformer le pays (…) en prenant en compte les accords de San Andres comme base d’une nouvelle Constitution ».
Une commission juridique devrait être créée pour épauler les communautés dans leurs luttes pour le respect de leurs droits. Un des accords souligne aussi « le rejet du modèle éducatif néolibéral » au profit d’une éducation alternative privilégiant « l’enseignement des langues originaires ». Le temps presse : 64 des 364 variantes linguistiques parlées au Mexique sont sur le point de disparaître.