« Où se trouve Santiago Maldonado ? », question incessante sur les réseaux sociaux d’Argentine
Par Carolina Rosendorn*
Le sort de cet artisan de 28 ans, disparu le 1er août après une intervention policière musclée en Patagonie, est à l’origine d’une mobilisation pour demander des comptes au gouvernement. « Où se trouve Santiago Maldonado ? » La question, lancinante, se répète à l’infini sur les réseaux sociaux depuis trois jours en Argentine, presque un mois après la disparition de ce jeune artisan à la suite d’une intervention musclée de la gendarmerie lors d’une manifestation.
Depuis samedi 26 août, des messages publiés des quatre coins du pays, et même à l’étranger, apparaissent sur Facebook et Twitter pour médiatiser le sort de M. Maldonado. Le hashtag #SantiagoMaldonado, comme un cri de ralliement numérique, a été cité plus de 460 000 fois, selon les médias argentins.
La forme est toujours la même : les participants mentionnent leur nom, précisent l’endroit où ils se trouvent ou ce qu’ils sont en train de faire au moment d’écrire le message, et posent la question : où est Santiago Maldonado, cet homme de 28 ans qui, au moment de sa disparition, participait à une manifestation de la communauté mapuche de Cushamen, en Patagonie ? Les indigènes occupent depuis 2015 une portion de terres ancestrales appartenant officiellement à l’entreprise italienne Benetton et bloquent régulièrement des routes pour en revendiquer la propriété.
« Je suis Paco Rey, je prends le petit-déjeuner avec ma femme à Montecastro. Où se trouve Santiago Maldonado ? ».
« Je suis Nicolas Forio, je profite du calme d’un samedi quand, soudain, je me demande : où se trouve Santiago Maldonado ? ».
« Disparition forcée de personne »
Bien que la majorité des messages ne s’adresse à personne en particulier, certains n’ont pas hésité à interpeller la ministre de la sécurité, Patricia Bullrich, ou le secrétaire d’Etat aux droits humains, Claudio Avruj. Samedi, le militant de défense des droits humains et Prix Nobel de la paix, Adolfo Perez Esquivel, avait ouvertement rendu l’Etat responsable, sommant la ministre de démissionner.
Deux jours avant le début de la mobilisation en ligne, la procureure générale chargée de l’affaire, Silvina Avila, avait modifié le motif de l’enquête, dont l’intitulé est désormais « disparition forcée de personne », ce qui implique de facto les forces de l’ordre comme principales suspectes dans l’affaire, à la requête de la famille Maldonado.
Le concept de « disparition forcée » est, selon l’ONU, « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’Etat ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’Etat ».
Les messages s’accompagnent parfois de photos et de dessins, voire de petites histoires, avec toujours, en conclusion, l’interrogation sur le sort de Santiago Maldonado. Parmi les messages les plus viraux, celui de Rubén Lopez, fils de Jorge Julio Lopez. Cet opposant à la dictature argentine (1976-1983) avait disparu le 18 septembre 2006, quelques jours après avoir témoigné lors de son procès contre un policier, Miguel Etchecolatz, par la suite condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité. Le message de son fils a été partagé plus de 7 000 fois sur Facebook.
« Tout le monde sait qui était mon père. Où se trouve Santiago Maldonado !!! ».
Le spectre de la dictature, trente ans après
Des personnalités politiques argentines et étrangères se son jointes à la mobilisation en ligne, comme l’ex-présidente argentine Cristina Kirchner — à la tête de l’opposition au gouvernement de centre-droit de Mauricio Macri — ou Pablo Iglesias, le chef de la formation de gauche radicale espagnole Podemos.
Patricia Bullrich et le juge chargé de l’enquête, Guido Otranto, assurent, eux, qu’« aucun indice ne prouve » que la gendarmerie soit en cause. La ministre a insisté sur sa « forte conviction » concernant l’innocence des forces de l’ordre qu’elle dirige. Elle s’est dite « angoissée » par les accusations et les comparaisons avec la dictature militaire argentine, responsable de l’enlèvement, de la torture et de la disparition d’environ 30 000 personnes de 1976 à 1983.
Plusieurs témoins assurent avoir vu Santiago Maldonado pour la dernière fois le 1er août, lorsque les forces de l’ordre ont chargé violemment les manifestants à Cushamen, interpellant le jeune homme et l’embarquant dans une camionnette.
Diverses organisations de défense des droits humains — dont celles des Mères et des Grands-Mères de la place de Mai, fondées par des familles de disparus de la dictature militaire — ont prévu de poursuivre la mobilisation, cette fois dans les rues mêmes de Buenos Aires. Le rassemblement est prévu le vendredi 1er septembre sur la place de Mai, devant la Casa Rosada — le palais présidentiel —, afin de marquer un mois exact de recherches du jeune homme et d’exiger à nouveau des réponses de la part du gouvernement.
* Article originellement publié sur lemonde.fr