Pandémie et villes frontalières entre les États-Unis et le Mexique (Cléa Fortuné / Institut des Amériques)

Les villes à la frontière États-Unis/Mexique, souvent caractérisées par des doublons qui associent des zones urbaines d’un côté et de l’autre de la frontière (Tijuana/San Diego, Mexicali/Calexico, Nogales/Nogales, etc.), se distinguent par leurs liens historiques, économiques et culturels transfrontaliers, et ce depuis leur création à la fin du XIXe et début du XXe siècle. Malgré les renforcements des contrôles depuis plusieurs décennies, les résidents frontaliers traversent d’un pays à l’autre pour aller rendre visite à la famille ou à des amis, aller faire leurs courses, participer à des activités, aller chez le médecin, ou encore à l’école. Mais, en mars 2020, la crise du coronavirus a fait fermer la frontière entre les deux pays. 

Photo FMLT, 2020

À moins d’être considéré comme « voyageur essentiel pour l’intérêt national », il n’est pas possible de traverser la frontière vers les États-Unis. Alors en campagne présidentielle pour briguer un second mandat, Donald Trump avait justifié la fermeture de la frontière au nom de la sécurité nationale, et il en avait profité pour accélérer la construction de son fameux « mur » (wall). Plutôt que d’un véritable mur, il s’agit plutôt de barrières, de différents types, qui séparent visuellement le Mexique des États-Unis. Selon lui, ces barrières permettaient de lutter contre les migrations irrégulières mais aussi d’éviter d’être « inondés » de cas de Covid-19. Cumulées, les mesures de fermeture des frontières et la construction de nouvelles barrières ont profondément affecté les villes frontalières et leurs résidents.

Des désastres écologiques passés (presque) inaperçus en raison de la pandémie

Pour répondre à sa promesse de construire 800 kilomètres de « mur » avant la fin de son mandat en novembre 2020, l’administration Trump a envoyé des équipes de construction dans les villes frontalières afin d’y mettre en place de nouvelles barrières de neuf mètres de haut, principalement en remplacement d’anciennes, plus petites, qui étaient de simples garde-corps et des barrières contre les véhicules.

Ces barrières ont principalement été mises en place en Arizona, où une grande partie des terres appartiennent à l’État fédéral, facilitant le démarrage des chantiers. Alors que le monde se confinait, les équipes de construction se sont quant à elles activées pour construire ces centaines de kilomètres de barrière, pour lesquelles un budget de plusieurs milliards de dollars a été alloué. À travers le hashtag #CancelTheWall, des organisations ont protesté contre l’utilisation de ces milliards de dollars pour une mesure impopulaire (un sondage de 2019 du Pew Hispanic Center a montré que 58% des Étatsuniens sondés s’opposent à la construction d’une barrière, ce qui ne signifie toutefois pas qu’ils sont pour moins de sécurité), et ont dénoncé le fait que ces dépenses auraient pu être affectées à soigner les malades de la Covid-19. Une centaine d’organisations frontalières ont envoyé une lettre à l’État fédéral demandant l’arrêt immédiat de la construction pendant la pandémie, soutenues par des élus au Congrès comme Raul Grivalja qui dénonçait le fait que « tandis que le reste du pays est à l’arrêt pour stopper la propagation de la Covid-19, les équipes de construction continuent de construire le mur vaniteux de Trump avec des milliards de dollars de fonds détournés ». Au-delà de la controverse sur les fonds alloués, les mêmes organisations ont dénoncé les désastres écologiques engendrés par les chantiers. Ceux-ci sont réalisés dans des zones protégées, comme dans la réserve de biosphère Organ Pipe Cactus National Monument ou encore à San Bernardino Wildlife Refuge, à la frontière entre le Sonora et l’Arizona. Or, la construction de la barrière dans des milieux naturels engendre des impacts écologiques importants. La barrière empêche ainsi la migration et donc la survie d’animaux sauvages, ce qui pourrait mener à l’extinction d’espèces comme les pumas et les pécaris du côté étatsunien. De plus, la barrière est construite dans des zones désertiques où l’eau est rare, et les agents de construction pompent l’eau des nappes phréatiques pour la mélanger au ciment qui sert de fondation à la barrière et à tasser la poussière qui gêne lors de la construction, ce qui mène à une diminution des niveaux d’eau et menace les espèces protégées.

Les lois environnementales auraient dû protéger les espaces concernées, mais celles-ci ont été contournées grâce au recours au Real ID Act, signé sous l’administration Bush suite aux attentats du 11 septembre 2001, qui accorde de larges pouvoirs au Department of Homeland Security pour contourner toute loi qui ferait obstacle à la sécurisation des frontières.  Aux impacts écologiques s’ajoutent les questions économiques.

Des voyageurs « non essentiels » … essentiels ?

Les flux frontaliers entre le Mexique et les États-Unis sont importants. Les résidents étatsuniens traversent au Mexique pour aller rendre visite à leur famille ou leurs amis, pour le tourisme médical (les consultations sont moins coûteuses au Mexique) ou encore pour les loisirs (cinéma quand il n’y en a pas du côté étatsunien, restaurants avec une offre plus variée, achat de matériel de construction, etc.). Quant aux résidents frontaliers mexicains qui ont les documents nécessaires pour traverser la frontière, ils représentent une source de revenu non négligeable pour les petites villes étatsuniennes. (…)

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Cléa Fortuné est docteure en civilisation américaine de l’Université Sorbonne Nouvelle et membre du Center for Research on the English-speaking World (CREW EA 4399). Sa thèse est intitulée « Sécurité frontalière, insécurité locale dans les borderlands États-Unis/Mexique. Étude de Douglas (Arizona) et Agua Prieta (Sonora) ». Elle enseigne en tant qu’ATER à l’Université Grenoble Alpes au département de LEA. Elle fait partie du comité de rédaction de la revue RITA (Revue Interdisciplinaire de Travaux sur les Amériques).