🇵🇪 Pérou. De hauts représentants de l’État doivent rendre des comptes pour les attaques meurtrières menées par les forces de sécurité (Amnesty International)


Le parquet général du Pérou doit enquêter sur toutes les personnes, jusqu’au plus haut niveau, qui ont ordonné ou toléré le recours illégitime à la force meurtrière par les forces de sécurité, qui a fait quarante-neuf morts lors des manifestations ayant eu lieu de décembre à février, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 25 mai.

© Max Nina

« L’utilisation d’armes à feu létales contre des manifestant·e·s témoigne d’un mépris flagrant pour la vie humaine. Malgré les efforts du gouvernement pour les présenter comme des terroristes ou des criminels, les personnes tuées étaient des manifestant·e·s, des observateurs et observatrices, et des passant·e·s. La quasi-totalité de ces personnes étaient issues de milieux pauvres, autochtones et paysans, ce qui tend à indiquer un biais racial et socio-économique dans le recours à la force meurtrière », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.

« Loin d’être des incidents isolés pouvant être attribués à des fonctionnaires dévoyés agissant de leur propre chef, le nombre de décès survenus à diverses dates et dans des lieux différents suggère une réaction délibérée et coordonnée de l’État. Les autorités péruviennes doivent enquêter sur la possibilité que des fonctionnaires aient ordonné ou au moins toléré ces homicides, quelle que soit leur place dans la hiérarchie. »

Le rapport, intitulé Lethal racism: Extrajudicial executions and unlawful use of force by Peru’s security forces, analyse cinquante-deux affaires dans lesquelles des personnes ont été tuées ou blessées durant des manifestations à Andahuaylas, Chincheros, Ayacucho et Juliaca. Figurent parmi ces cas vingt-cinq homicides, dont vingt sont susceptibles de constituer des exécutions extrajudiciaires par les forces étatiques. Dans ces vingt cas, des responsables de l’application des lois ont tiré à balles réelles sur des parties du corps hautement vulnérables (la tête, le cou, le torse et l’abdomen), et des éléments de preuve supplémentaires, notamment des vidéos, des photos, des dossiers criminels et des déclarations de témoins semblent accréditer la thèse d’un recours injustifié à la force. Concernant les cinq autres cas d’homicide, Amnesty International dispose d’éléments attestant la possibilité d’un recours excessif à la force.

Les manifestations qui ont éclaté dans une grande partie du Pérou en décembre dernier, sur fond de crise politique, ont notamment pris la forme de blocages d’autoroutes, d’aéroports et d’autres infrastructures. Des similarités dans le recours à la force contre les manifestant·e·s dans différentes zones du pays indiquent une possible stratégie ordonnée ou tolérée par de hauts fonctionnaires. Par ailleurs, au lieu de condamner ce recours excessif à la force, les plus hauts représentant·e·s de l’État péruvien l’ont encouragé en saluant publiquement les agissements des forces de sécurité, tout en montrant du doigt les manifestant·e·s, en les qualifiant de « terroristes » et en répandant intentionnellement de fausses informations.

Si les premiers homicides ont eu lieu le 11 décembre à Andahuaylas, la police et l’armée ont continué à utiliser les mêmes tactiques dans différentes villes des jours, voire des semaines plus tard. Armés de fusils d’assaut, ils ont tiré à balles réelles sur des civil·e·s, sans discernement, causant d’importantes pertes humaines. Malgré les demandes formulées par les bureaux de la médiatrice des droits humains à Andahuaylas, Ayacucho et Juliaca afin que les autorités se gardent de recourir de manière excessive à la force, notamment un appel direct passé par la médiatrice au ministre de la Défense, les forces de sécurité ont continué à faire feu pendant des heures dans de nombreux cas. Le 16 décembre à Ayacucho, par exemple, les mêmes soldats ont été déployés dans les rues où plusieurs personnes avaient été tuées et des dizaines d’autres blessées la veille.

Non seulement les forces de sécurité ont employé une force excessive, mais certains éléments semblent en outre indiquer que de hauts responsables ont pu se rendre complices sur le plan pénal lorsqu’ils ont dissimulé des armes ayant causé la mort. Les registres des armes employées par la police et l’armée auxquels Amnesty International a eu accès n’ont pas livré de détails sur toutes les munitions utilisées ni sur les personnes ayant ouvert le feu avec des armes spécifiques. Dans le cas survenu à Juliaca, seuls deux membres de la Direction des opérations spéciales ont signalé avoir tiré quatre balles de calibre 7,62 avec leurs fusils d’assaut AKM le 9 janvier. Et pourtant ce jour-là, au moins quinze personnes ont été tuées par des munitions létales, et des dizaines d’autres blessées par des armes à feu. La police a également dissimulé l’utilisation de plombs (munition interdite pour les membres des forces de l’ordre au niveau national et international), bien que ceux-ci aient causé de nombreuses morts et blessures.

Amnesty International a recueilli les propos d’un policier d’Apurimac, qui a souhaité garder l’anonymat. Il a déclaré : « Ce dont on parle souvent entre policiers est que si le groupe est violent, on tire sur une personne. Parce que tant qu’il n’y a pas de morts, les gens sont pleins d’enthousiasme, mais quand ils voient un blessé, ils se calment. »

Sur les vingt-cinq victimes d’homicide recensées par Amnesty International, quinze étaient de jeunes hommes de moins de 21 ans, dont beaucoup appartenaient à des familles pauvres autochtones. La mère de Chistopher Michael Ramos Aime, un garçon de 15 ans tué par l’armée à Ayacucho alors qu’il traversait la rue, a déclaré : « Si nous n’étions pas pauvres, Christopher ne serait pas mort. Parce que nous n’aurions pas été obligés d’aller au travail ce jour-là. »

Amnesty International a procédé à une analyse statistique des décès enregistrés lors des manifestations, dont les résultats donnent à penser que les autorités péruviennes ont fait preuve d’un parti pris racial marqué. L’organisation a constaté un nombre disproportionné de décès dans des régions où vivent des populations historiquement marginalisées, alors même que les manifestations n’y étaient pas plus fréquentes ni plus violentes que dans d’autres zones.

Par exemple, cent-quatre manifestations et cinq actes de violence commis par des civil·e·s ont été enregistrés à Lima, contre trente-sept manifestations et cinq actes de violence commis par des civil·e·s à Ayacucho. Pourtant, il n’y a eu qu’un seul décès à Lima, où seulement 20 % de la population s’identifie comme autochtone ou afro-descendante, alors que dix personnes ont été tuées à Ayacucho, où 82 % de la population est autochtone ou afro-descendante.

Il est par ailleurs notable que la police et l’armée n’ont utilisé des munitions réelles létales qu’en dehors de la capitale, alors même que le niveau de protestation et de violence à Lima était similaire à ceux d’autres régions. (…)

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