Pour une rue Marielle Franco à Paris (Réseau pour la Démocratie au Brésil)
Madame La Maire de Paris, Anne Hidalgo,
Nous nous permettons de vous adresser ce courrier afin de vous soumettre notre demande d’attribuer à une rue de Paris le nom de la femme politique brésilienne Marielle Franco, à l’occasion, le 14 mars prochain, du premier anniversaire de son assassinat.
Cette demande émane du collectif Réseau pour la Démocratie au Brésil (RED-Br), fondé à l’initiative d’universitaires et d’artistes français et brésiliens. Elle est appuyée par un grand nombre d’associations, de collectifs et d’ONGs.
Femme politique symbole des luttes féministes, de la dignité des habitants des favelas et du respect des droits humains, Marielle Franco aurait eu quarante ans cette année. Elle était conseillère municipale de Rio de Janeiro et incarnait l’espoir d’une nouvelle génération politique brésilienne, un espoir d’émancipation et de progrès social. Le 14 mars 2018, elle est tombée sous les balles de milices paramilitaires mues par la haine politique. Ce crime a provoqué une grande émotion au Brésil et à l’étranger.
La trajectoire exceptionnelle de Marielle Franco
Le parcours de Marielle Franco, femme noire et lesbienne, originaire de la favela de la Maré, l’un des bidonvilles les plus démunis de Rio de Janeiro, est en tout point singulier. Mère célibataire à l’âge de 19 ans, elle est l’une des premières élèves du cours de préparation communautaire créé par une ONG pour aider les jeunes de la Maré à réussir l’examen d’entrée à l’université – dont ils sont traditionnellement exclus. Admise dans la prestigieuse Université Catholique de Rio de Janeiro (PUC-Rio), elle étudie la sociologie grâce à une bourse du « Programme Université pour Tous » mis en place par l’ex-président Lula, tout en travaillant pour élever sa fille. Son master, soutenu à l’Université Fédérale Fluminense, porte sur la politique de pacification des favelas de Rio et la montée en puissance des milices, ces mafias paramilitaires qui ont entrepris ces dernières années, dans les quartiers populaires, de se substituer à l’État.
La dénonciation des violences policières dans les favelas, la défense des droits humains et des minorités constituent le cœur de l’action politique de Marielle. En 2006, elle intègre l’équipe de campagne de Marcelo Freixo, responsable politique de premier plan de la gauche à Rio et combattant historique du pouvoir des militaires. Marielle Franco devient en 2007 son assistante parlementaire à l’Assemblée législative de l’État de Rio.
Lors des élections municipales de 2016, qui se déroulent au scrutin uninominal, elle obtient le résultat remarquable de 46 000 voix sur son nom, grâce à l’adhésion des quartiers populaires. Présidente, au Conseil municipal, de la Commission pour la défense des femmes, elle porte avec conviction un discours d’égalité et de dénonciation de la violence faite aux femmes, et s’engage pour les droits de la communauté LGBT+.
Dans les quartiers sensibles, ses combats s’orientent vers la lutte contre toutes les violences. Marielle Franco se préoccupe également de l’accès à l’eau dans les favelas, des transports publics, du patrimoine urbain.
Il y a un an, au lendemain du carnaval de Rio, Marielle Franco, fidèle à ses engagements, condamne publiquement les graves atteintes aux droits fondamentaux des habitants des favelas, dans le cadre de l’intervention militaire enclenchée pour lutter contre le trafic de drogues dans la métropole. Nommée rapporteuse de la commission du conseil municipal chargée du suivi de l’intervention, Marielle Franco dénonce en particulier les abus commis par les bataillons de la police militaire dans la favela d’Acari le 10 mars 2018. Quatre jours plus tard, alors qu’elle sort d’une rencontre avec des jeunes femmes noires, elle est exécutée dans sa voiture, tout comme son chauffeur Anderson Pedro Gomes.
Les rues Marielle Franco
Encore impuni à ce jour, ce crime a suscité une vague d’indignation et d’hommages au Brésil ainsi que dans de nombreux pays du monde. Le conseil municipal de Cologne a observé une minute de silence en mémoire de Marielle Franco et l’université Johns Hopkins a créé une bourse d’études internationales à son nom. À Paris, le portrait apposé sur la façade de l’hôtel de ville, avec les mots « Paris n’oublie pas Marielle Franco », a eu un retentissement international. À New York et ailleurs, des street artists ont répondu par leurs œuvres aux graffeurs brésiliens qui recouvrent depuis un an les murs de Rio, São Paulo et Salvador du visage de la conseillère municipale. À Rio de Janeiro, des habitants ont pris l’initiative de poser une plaque symbolique « Rue Marielle Franco » sur la place Cinelândia, où siège le conseil municipal.
Or pour l’extrême droite en pleine ascension ces derniers mois au Brésil, la mémoire de Marielle Franco est en elle-même devenue une offense, au point que le candidat et désormais gouverneur de l’État de Rio de Janeiro a agrémenté sa campagne, à l’automne dernier, d’une scène de destruction de la plaque « Rue Marielle Franco ». De milliers de personnes ont depuis lors manifesté à Rio et dans plusieurs grandes villes du monde pour l’inauguration d’autres « rues Marielle Franco ».
Marielle Franco fut une femme politique à la trajectoire et au courage admirables, dont l’assassinat et la mémoire ne doivent pas être oubliés. Donner son nom à un lieu de passage urbain parisien serait un acte symbolique fort, en accord avec la volonté de la municipalité, ces dernières années, d’honorer la mémoire de femmes illustres et courageuses, de personnalités issues des minorités ainsi que de combattant·es pour les droits humains. Mais la plaque de rue est, en outre, devenue en elle-même un symbole de résistance à l’ascension de l’extrême-droite et de défense des principes humanistes.
Paris est le lieu où cette première plaque doit être posée, en raison du rayonnement de notre ville, des valeurs qu’elle incarne et des liens séculaires qui l’unissent à Rio de Janeiro et, au-delà, au Brésil. Parce qu’enfin Marielle Franco luttait au quotidien pour une ville ouverte, diverse et inclusive, nous vous demandons, Madame la Maire, de permettre qu’une rue ou un lieu de passage urbain parisien soient nommés en son hommage à l’occasion du premier anniversaire de sa mort, le 14 mars 2019.
Collectif Réseau de Défense de la Démocratie au Brésil RED-Br
Premiers signataires: France Amérique Latine/ Amnesty International France/La Coletiva Marielles/Ligue des Droits de l’Homme/ Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme/ Les Amis des Sans Terre/ Autres Brésils/ France Libertés/ Association pour la Recherche sur le Brésil en Europe/ la Cimade/ l’Inter LGBT