Salvador : Teodora Vásquez libérée après dix ans de prison pour une fausse couche (Anne Proenza/Libération. Vidéo/AmnistieWeb)

La Cour suprême de Justice salvadorienne a finalement accepté de «commuer la peine» de cette femme condamnée à trente ans de prison, dans un pays chrétien qui demeure farouchement opposé à l’avortement. Sa victoire en amènera peut-être d’autres, espèrent ses soutiens. 

Elle est libre. Teodora Vásquez, 34 ans, condamnée en 2007 par un tribunal salvadorien à trente ans de prison pour une fausse couche, a été libérée jeudi. Mais au moins vingt-sept autres femmes croupissent encore dans leur cellule pour des condamnations similaires dans les prisons du Salvador, ce pays où non seulement la loi interdit l’avortement sous toutes ses formes, mais où la pression sociale et religieuse est telle que lorsque des femmes arrivent à l’hôpital pour une fausse couche, elles en repartent souvent pour aller aussitôt en prison.

«Vaincre»

Une petite foule est venue l’attendre au matin à sa sortie de la prison pour femmes d’Ilopango, à l’est de San Salvador : sa famille, évidemment, les militantes pour la légalisation de l’avortement, et quelques caméras et micros. Sa sœur Cecilia : «Nous sommes tellement, mais tellement heureux.» Teodora Vásquez est repartie, accrochée aux bras de ses parents venus de la région rurale d’Ahuachapán pour l’accueillir, avec son fils de 14 ans, privé de mère depuis tant de temps.

Teodora Vásquez et sa mère le 15 février. Photo Marvin Recinos. AFP

Jointe par téléphone, elle nous a assuré d’une voix douce qu’elle lutterait désormais tous les jours pour faire sortir «une par une» ses camarades d’infortune. Treize dans la seule prison d’Ilopango. «Ce n’est une vie pour personne», a-t-elle soupiré. La plupart de ces jeunes femmes sont, comme Teodora Vásquez, issues de familles extrêmement modestes et se retrouvent en prison sans avoir pu se défendre. Certaines ont fait une fausse couche après avoir été violées. Mais face à la pression sociale et religieuse, le personnel médical, la police, la justice les accusent à chaque fois. Dans le meilleur des cas, elles sont poursuivies pour avoir avorté (ce qui est passible de deux à huit ans de prison) et, dans le pire, pour infanticide, à l’image de Teodora Vasquez. Toute à la joie et à l’étrangeté des retrouvailles – son fils si grand, ses parents qu’elle pensait ne plus jamais revoir, ses frères et sœurs, ses nièces –, Teodora Vasquez trouve encore la force de saluer «le soutien et la solidarité venus du monde entier, qui permettent de tout vaincre». Dans les jours qui viennent, elle souhaite rentrer chez elle, avec les siens, et «se mettre à travailler». Elle espère aussi pouvoir aller un jour à l’université afin d’y étudier le droit : elle a passé le bac en prison, elle qui avait arrêté les études en primaire.

«Cela nous donne l’espoir de pouvoir faire libérer les autres»

«Nous avons célébré, célébré», a raconté ensuite, émue, Sara García, la coordinatrice politique du Groupement citoyen pour la décriminalisation de l’avortement, une des nombreuses associations qui luttent pour le droit des femmes au Salvador. «Cela nous donne l’espoir de pouvoir faire libérer les autres», s’est-elle réjouie. «Nous espérons d’autres libérations dans les semaines, les mois qui viennent, selon cette même stratégie de commutation de peine», a confirmé l’avocate Ana Cecilia Martínez, qui s’occupe du pôle juridique de l’association. Elle explique aussi que dans le cas de Teodora Vásquez, un recours en cassation a été déposé : «Elle a été privée de liberté pendant près de onze ans pour un délit qu’elle n’a pas commis. Son innocence doit être reconnue, elle doit obtenir des réparations civiles.» Employée domestique dans un collège privé, Teodora Vasquez avait accouché dans les toilettes d’un bébé mort-né après un malaise, sans que personne ne lui prête secours. Alertée, la police l’avait conduite à l’hôpital et remise illico à la justice.

Elle a été libérée, mais le combat est loin d’être fini. «Socialement, le contexte reste très difficile», regrette Me Ana Cecilia Martinez car si le dialogue avec les institutions, et notamment le ministère de Justice, semble avoir progressé, l’opinion publique reste largement défavorable à la légalisation de l’avortement. «La loi entraîne la criminalisation des femmes», déplore l’avocate. Auparavant, l’avortement était autorisé dans certains cas au Salvador, mais les réformes du code pénal en 1997, puis de la Constitution en 1999, ont imposé cette vision intégriste. Et il semble si difficile de faire évoluer les mentalités qu’aujourd’hui, les associations se battent pour légaliser dans un premier temps l’avortement dans seulement quatre cas – risque pour le fœtus, pour la femme, viol sur mineur et viol sur adulte. Dans ce contexte, la libération de Teodora Vásquez est d’autant plus inespérée.

Anne Proenza

http://www.liberation.fr/planete/2018/02/16/salvador-teodora-vasquez-liberee-apres-dix-ans-de-prison-pour-une-fausse-couche_1630103

Voir égalemenhttps://www.franceameriquelatine.org/salvador-en-prison-pour-une-fausse-couche-reportage-video/#more-6308