Tragédie dans un foyer d’enfants au Guatemala: quelle est la responsabilité de l’État?
Quarante adolescentes sont mortes brûlées vives, le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, dans l’incendie d’un foyer pour mineurs du Guatemala. Victimes de maltraitances, d’humiliations et d’agressions sexuelles, elles avaient décidé, la veille, de fuir le foyer Hogar Seguro Virgen de la Asunción, situé à 10 kilomètres à l’est de la capitale, accompagnées de jeunes garçons du même établissement. Arrêtées par la police dans la soirée et reconduites au foyer, les jeunes filles ont été placées à l’isolement dans une salle de classe de 16 m2 pendant toute la nuit, sans accès aux toilettes et sans nourriture. Le 8 mars au matin, un incendie s’est déclaré à l’entrée de la salle, s’étendant rapidement. Dix-neuf jeunes filles ont péri sur le lieu du drame et vingt et une autres à l’hôpital. Sept survivantes souffrent de brûlures d’une telle gravité qu’elles ont été transférées dans des hôpitaux aux États-Unis. Le sociologue français Loïc Malhaire revient sur les circonstances du drame.
Lundi 13 mars, le secrétaire d’État à la protection sociale, Carlos Rodas, sa sous-secrétaire, Anahi Keller, ainsi que le directeur de l’établissement, Santos Torres, ont été arrêtés, accusés d’homicides, de manquement au devoir de fonctionnaire et de mauvais traitements sur mineurs. Le foyer a été fermé et les jeunes qui s’y trouvaient placés dans d’autres établissements. Trois jours de deuil national ont été décrétés. Le président guatémaltèque, Jimmy Morales, a promis de revoir de fond en comble le système de l’aide sociale à l’enfance.
Le Français Loïc Malhaire, docteur en sciences humaines appliquées de l’université de Montréal, a travaillé sur la question des enfants des rues au Brésil et au Vietnam. Installé au Guatemala depuis deux ans et demi, il considère que ce drame est l’illustration de la faillite d’un Etat profondément corrompu.
Que sait-on de ce qui s’est passé dans ce foyer ?
En l’état des connaissances de l’enquête, il existe plusieurs versions. Les responsables de l’établissement affirment que les adolescentes ont mis le feu elles-mêmes à l’entrée de la salle de classe. Voulaient-elles ainsi attirer l’attention des adultes, afin de mettre fin à leur privation de liberté arbitraire ? Si cela était avéré, cet acte n’a pourtant pas provoqué de réactions suffisantes de la part des adultes du foyer, qui avaient le devoir de sauver des flammes ces adolescentes. Ils ont aussi soutenu que les pompiers ne sont arrivés que quarante minutes après avoir été alertés. Une version contredite par de nombreux témoignages. Les pompiers volontaires, eux, disent que des agents de la police les ont empêchés d’entrer, sous prétexte qu’il fallait attendre « des ordres » pour permettre l’ouverture des portes.
Le foyer, dont le dernier recensement indique qu’il hébergeait 650 jeunes pour une capacité de 400 places, a maintes fois été dénoncé pour des cas de mauvais traitements, de harcèlement, de viols. Un grand nombre d’enfants ont, par le passé, essayé de fuir ces conditions désastreuses. En octobre 2016, 99 cas de disparitions d’enfants ont été signalés, et, à ce jour, on n’a toujours aucune nouvelle de 73 d’entre eux. La supposition mise en avant par le défenseur des droits et par certains médias est que ce foyer d’accueil serait une plaque tournante d’un réseau de prostitution, où on viendrait prendre, comme dans un vivier, des jeunes filles et garçons pour les prostituer.
Qui étaient ces enfants placés dans ce foyer ?
Dans 85 % des cas environ, il s’agit d’enfants qui subissent des situations difficiles dans leur famille, des violences ou des abus, et qui sont placés dans des centres sur décision administrative. Souvent, ils sont issus de familles monoparentales très pauvres. Ils quittent l’école, errent dans la rue, sont arrêtés par la police et placés d’office dans des centres. Cela correspond à une vraie politique d’État, qui consiste à nettoyer les rues des enfants qui pourraient s’apparenter à des vagabonds et à les enfermer dans des institutions. C’est la raison pour laquelle au Guatemala, contrairement à d’autres pays latino-américains, on ne voit pas d’enfants des rues. Concernant le reste des cas, il s’agit d’enfants ou d’adolescents qui ont commis des délits ou des crimes, et qui sont parfois issus de « maras », ces groupes criminels organisés qui sévissent en Amérique centrale. Ils se retrouvent donc mélangés à des enfants qui n’ont pas du tout le même profil. Nous assistons à un phénomène de criminalisation des enfants pauvres, considérés comme des rebuts de la société, complètement stigmatisés et pour lesquels la société guatémaltèque considère qu’il est normal de leur infliger des traitements sévères. Ainsi, le contexte social et politique permet à des adultes qui en ont la charge d’agir de manière cruelle envers ces enfants.
Qu’est-ce que ce drame dit de l’État guatémaltèque ?
Le Guatemala a vécu trente-six années de conflit armé, qui s’est terminé en 1996 avec des accords de paix. L’État et l’armée guatémaltèques ont été accusés de perpétrer des massacres. Un ancien président, le général Efrain Rios Montt (1982-1983), a été condamné en 2013 pour génocide. L’État est corrompu par les narcotrafiquants et il est occupé par des élus qui viennent parfois du crime organisé. Dans ce contexte, on n’a pas de difficultés à penser que l’action prioritaire de l’État ne va pas dans le sens d’un plus grand investissement dans les écoles, les hôpitaux, l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Aujourd’hui, l’État est complètement coopté par des intérêts privés qui correspondent à l’oligarchie guatémaltèque traditionnelle et à d’autres groupes de pouvoir, comme certains militaires.
L’État est sous le feu d’un grand nombre d’investigations, menées par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig), créée sous l’égide de l’ONU. La Cicig aurait un rôle à jouer pour essayer d’éclairer les circonstances de ce drame, car on est face à un cas de grande impunité, où l’État de droit n’a pas lieu de cité. Mais ses enquêtes se concentrent en priorité sur la lutte contre la criminalité politico-financière et la corruption.
Angeline Montoya,
journaliste au Monde
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/15/guatemala-on-suppose-que-le-foyer-pour-enfants-etait-une-plaque-tournante-d-un-reseau-de-prostitution_5095119_3222.html