Venezuela, Colombie, Panamá… Comment Donald Trump veut refaire de l’Amérique latine « l’arrière-cour des États-Unis » (Luis Reygada / L’Humanité)
Du rio Bravo à la Terre de Feu, la politique étrangère états-unienne revêt les différentes formes d’un néo-impérialisme décomplexé.

© REUTERS/Leonardo Fernandez Viloria
Un article de Luis Reygada, réservé aux abonné·es de l’Humanité, et reproduit intégralement sur notre site avec l’aimable autorisation de l’auteur. À retrouver sur le site de l’Humanité ici
Après son arrivée à la Maison blanche, le président Joe Biden (2021-2025) avait affirmé que l’Amérique latine n’était plus « l’arrière-cour des États-Unis », souhaitant dorénavant « une relation entre égaux » avec les pays situés au sud du rio Bravo. Mais, après un mandat notamment marqué par un sommet des Amériques – en 2022 – régenté par Washington et le maintien d’une approche punitive et interventionniste vis-à-vis des gouvernements vénézuélien et cubain, preuve fut faite qu’on ne tourne pas aussi facilement la page de deux cents ans de réflexes néocoloniaux.
Il suffisait de se pencher sur les interventions publiques de la responsable du commandement sud des États-Unis1 sous Biden, la générale Laura J. Richardson, pour s’en rendre compte. « Pétrole, or, cuivre, lithium, eau douce, forêt amazonienne » : hier comme aujourd’hui, ce sont bien les immenses ressources naturelles dont regorge la région, perçue comme un échiquier dans le cadre de la rivalité sino-états-unienne, qui intéressent avant tout l’administration américaine.
Le retour au pouvoir d’un Donald Trump aussi peu subtil que faussement diplomate a au moins le mérite de lever toute ambiguïté sur la place et le rôle hégémonique que souhaitent avoir les États-Unis et comment ils comptent y parvenir. Adepte de la manière forte, le républicain ose toutes les outrances, au point d’obliger la presse mainstream à recourir à un vocable qu’elle avait laissé dans les oubliettes de l’histoire : « impérialisme ».
Ce terme n’a jamais été abandonné en Amérique latine. Aujourd’hui plus que jamais, parler de retour de la fameuse doctrine Monroe est d’actualité, tant il semble évident que le slogan trumpien « Make America great again » sous-entend une soumission du reste de la planète.
Au premier rang, le sous-continent subit de plein fouet le regain d’une politique étrangère ouvertement prédatrice, dirigée par un secrétaire d’État, Marco Rubio, aux convictions idéologiques d’ultradroite. Le traditionnel interventionnisme des États-Unis prend diverses formes, du rio Bravo à la Terre de Feu.
Au Venezuela, la diplomatie de la canonnière
Après avoir échoué sur cet objectif lors de son premier mandat, Donald Trump semble cette fois-ci disposé à aller jusqu’au bout du rêve de Washington : porter un coup fatal à la révolution bolivarienne. Et reprendre la main sur les immenses ressources naturelles du Venezuela (premières réserves mondiales de pétrole au monde).
Affirmant que le pays sud-américain est dirigé par « un des plus grands narcotrafiquants au monde », Trump ne cache sa volonté de provoquer le « changement de régime » tant souhaité. Cadre juridique (les États-Unis sont depuis peu officiellement « engagés dans un conflit armé » contre les « narcoterroristes »), CIA, forces militaires positionnées au large des côtes vénézuéliennes (où sept embarcations ont déjà été bombardées) : tout semble prêt pour obtenir la chute du président Nicolas Maduro, dont la tête est mise à prix pour 50 millions de dollars. Au mépris de toute règle du droit international.
Au Panamá, le néo-annexionnisme en action
« Nous allons récupérer le canal », déclarait Donald Trump le jour même de son retour au bureau Ovale. Critiquant une emprise trop importante « du Parti communiste chinois » sur le passage interocéanique, le républicain a dépêché sur place ses émissaires diplomatiques et militaires, obtenant l’autorisation d’y déployer des troupes autour du canal. Tout en poussant la société hongkongaise gérant les deux accès océaniques du canal à céder ses ports au fonds d’investissement BlackRock.
Alors qu’elle a déjà obtenu du président José Raul Mulino de faire du Panama une plateforme aérienne pour redistribuer les migrants qu’elle expulse, l’administration nord-américaine continue de faire pression sur le gouvernement centre-américain pour limiter ses relations avec la Chine, notamment en menaçant des hauts fonctionnaires d’annuler leurs visas.
Au Mexique, la menace constante
La présidente, Claudia Sheinbaum, a su jusqu’à maintenant manier avec habileté la relation avec son imprévisible homologue, profitant de l’interdépendance des deux économies pour échapper à une guerre tarifaire. Mais la trêve pourrait prochainement voler en éclats, avec la révision, l’année prochaine, de l’accord de libre-échange qui lie les deux pays avec le Canada.
De plus, le problème du narcotrafic reste un couteau sous la gorge de Mexico continuellement affûté par Washington pour obtenir des concessions, notamment la collaboration active du Mexique pour freiner les flux migratoires en provenance d’Amérique centrale. Et, alors qu’il agite régulièrement la menace d’une intervention militaire pour frapper les cartels, Trump a déjà obtenu de son voisin qu’il autorise officiellement – un camouflet pour la gauche au pouvoir – le survol de son territoire par des drones de la CIA.
À Cuba, l’intensification du blocus
« Politique de pression maximale » : c’est la stratégie impulsée depuis le département d’État par l’anticastriste Marco Rubio pour terminer d’asphyxier l’île communiste. Selon le gouvernement cubain, l’intensification du blocus financier, économique et commercial (en vigueur depuis plus de soixante ans), aurait causé des dommages et préjudices estimés à 7,5 milliards de dollars sur les douze derniers mois, soit une hausse de près de 50 %.
Après s’en être largement pris au secteur touristique durant son premier mandat (au cours duquel 243 nouvelles sanctions et une réinscription sur la liste « des États soutenant le terrorisme » avaient déjà visé La Havane), Trump cible maintenant tout particulièrement les programmes internationaux de coopération médicale déployés par La Havane. Une source très importante de devises pour la Grande île qui subit une crise économique brutale.
Au Salvador, le « bon dictateur »
Si pour Washington Nicolas Maduro est le « mauvais dictateur » latino-américain, le président salvadorien, Nayib Bukele, est en revanche un modèle. Son autoritarisme, sa mainmise sur le pouvoir et son mépris des droits humains ne posent aucun problème tant ses politiques libérales sont à l’opposé du projet de « socialisme du XXIe siècle » prêché au Venezuela.
Nayib Bukele a su gagner la confiance de son homologue états-unien en devenant un des principaux sous-traitants de la cruelle politique migratoire de Donald Trump. En accueillant dans ses mégaprisons des personnes expulsées (souvent arbitrairement) des États-Unis, Bukele a pris la place de vassal qu’attend Washington de la part de ses « partenaires » régionaux.
Au Brésil, Bolsonaro ou la guerre
Prenant fait et cause pour son ancien homologue d’ultradroite Jair Bolsonaro (2019-2023, récemment condamné pour son implication dans la tentative de coup d’État de janvier 2023 à Brasilia), Donald Trump a « puni » la première puissance économique latino-américaine de la plus importante surtaxe (50 %) appliquée à un pays dans le cadre de sa guerre commerciale mondiale.
Non content de décréter que « les actions » du gouvernement dirigé par Luiz Inacio Lula da Silva constituaient « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des États-Unis », l’administration trumpienne a menacé, le mois dernier, d’utiliser sa « puissance économique et militaire ». Depuis, la tension entre les deux pays est retombée, mais à un an de l’élection présidentielle à laquelle Michelle Bolsonaro, la femme de l’ex-chef d’État, pourrait participer, il est fort à parier que Trump reviendra à la charge pour faire barrage à Lula. Une voix du Sud qui pèse, notamment au sein des Brics, pour inventer une nouvelle gouvernance mondiale libérée de l’emprise du dollar.
En Équateur, Daniel Noboa, le premier de la classe
Si Washington devait distribuer ses bons points en Amérique latine, Daniel Noboa serait l’élève parfait. Depuis qu’il est au pouvoir (novembre 2023), le président équatorien (par ailleurs né à Miami) intensifie la politique néolibérale – et de vassalisation – relancée en 2017 avec le retour de la droite au palais de Carondelet, tout en en déroulant un autoritarisme sans freins.
Peu importe qu’il s’appuie sur une réélection bien douteuse (en avril dernier), sur une répression brutale ou encore sur une militarisation du pays : ayant promis le retour des bases militaires états-uniennes et suivant à la lettre le manuel de « stratégie de guerre contre la drogue » prescrit par Washington, Noboa peut compter sur le soutien du Fonds monétaire international (FMI) – une ligne de crédit de 5 milliards de dollars attribuée en juillet – pour mener à bien ses réformes.
En Argentine, Milei ou le bouffon utile
Il avait promis de détruire l’État et de livrer le pays au plus offrant, Javier Milei est à coup sûr une bénédiction pour l’administration trumpienne, qui le lui rend bien. Alors que ses recettes antisociales aggravent la crise économique qui frappe l’Argentine, le président protofasciste et ultralibéral peut toutefois compter sur les États-Unis pour l’aider à obtenir pas moins de 42 milliards de dollars du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement. Auxquels doivent s’ajouter 40 milliards de la part du Trésor et d’investisseurs états-uniens privés.
Une aide évidemment assortie de conditions : la droite doit se maintenir au pouvoir, « expulser la Chine de l’Argentine » et garantir un accès privilégié pour exploiter le lithium et l’uranium argentins ?
En Colombie, Gustavo bientôt visé comme Maduro ?
À sept mois de la présidentielle, nul doute que Washington fera tout pour peser dans un scrutin qui permettrait de remettre la Colombie – jadis pièce maîtresse de sa politique interventionniste dans la région (au point de devenir en 2017 un partenaire officiel de l’Otan) – dans son giron.
Au pouvoir depuis 2022, le président progressiste Gustavo Petro pourrait d’ailleurs bientôt être victime des menaces que subit son voisin vénézuélien. Alors que le Pentagone a annoncé ce dimanche le bombardement d’une embarcation colombienne, Trump a accusé son homologue d’être un « baron de la drogue ».
À l’origine de la doctrine Monroe
La doctrine Monroe (1823) établit l’hémisphère occidental comme sphère d’influence exclusive des États-Unis, interdisant toute nouvelle colonisation européenne (« l’Amérique pour les Américains »). Son corollaire, ajouté par le président Theodore Roosevelt en 1904, la transforme en un outil d’ingérence (« l’Amérique pour les États-Unis »), justifiant des interventions militaires par un supposé devoir de police internationale. Une évolution à visée impérialiste qui reflète le concept de la « destinée manifeste », moteur idéologique soutenant que l’expansion et la domination des États-Unis sur le continent étaient à la fois inévitables et divinement ordonnées.