Washington, sommet de la démocratie : vers une reprise en main de l’Amérique latine ? (Jean-Jacques Kourliandsky / IRIS)


L’Amérique latine préoccuperait-elle le nouveau président des États-Unis Joe Biden ? Un Sommet de la démocratie a été organisé par Washington, les 9 et 10 décembre 2021. Une centaine de gouvernements en provenance de tous les continents, y ont été invités. Les Amériques latines étaient donc de la partie, au même titre que les autres régions du monde. La sélection des conviés et des laissés pour compte révèle pour les Amériques latines un activisme diplomatique qui interpelle. Ces derniers mois, le sud du Rio Grande, étranger proche oublié les premiers mois de la mandature Joe Biden, a en effet été sollicité de manière exceptionnelle.

Les 1er et 2 juin 2021, le Secrétaire d’État, Antony Blinken, a effectué au Costa Rica son premier déplacement en Amérique latine. Outre les autorités locales, il a également rencontré celles du SICA (Système d’intégration centraméricain). Le 8 juin, la vice-présidente Kamala Harris s’est rendue à Mexico. Le 11 septembre, le Secrétaire d’État Antony Blinken annonçait que le prochain Sommet des Amériques, en 2022 à Washington, aurait un agenda centré sur la démocratie et les questions migratoires. Quelques semaines plus tard, le 8 octobre, il signait à Mexico un protocole de sécurité entre les deux pays. Puis du 19 au 21 octobre, il visitait la Colombie et l’Équateur, félicitant leurs gouvernements, présentés comme des modèles de vertu démocratique et de lutte contre la corruption. L’agenda Mexique et ses prolongements centraméricains ont été abordés le 18 novembre, à l’occasion d’un Sommet dit des « trois amis » ou des leaders des Amériques (Canada, États-Unis, Mexique). Le 1er décembre, États-Unis et Mexique annonçaient le démarrage d’un plan visant à bonifier les économies de trois Centraméricains exportateurs de migrants : le Guatemala, le Honduras et le Salvador. Le 6 décembre, Mexico et Washington ont prolongé l’accord signé sous la mandature de Donald Trump et Enrique Peña Nieto, expulsant et externalisant en territoire « aztèque » les demandeurs d’asile entrés illégalement aux États-Unis.

Ces actes diplomatiques ont composé la partition jouée en Amérique latine depuis quelques mois par la Maison-Blanche. Cette partition donne des clefs permettant d’interpréter l’insertion sur la portée ainsi définie des douze gouvernements invités au Sommet de la démocratie : Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Équateur, Mexique, Panamá, Paraguay, Pérou, République dominicaine et Uruguay, tout comme ceux placés volontairement hors tablature : Bolivie, Cuba, Guatemala, Haïti, Nicaragua, Salvador et Venezuela.

Divers signaux ont été donnés par l’administration des États-Unis de juin à décembre. Certains vont dans le sens revendiqué par les initiateurs nord-américains de la conférence pour la démocratie. Les FARC ont été retirées de la liste des organisations terroristes. Des pays en carton démocratique jaune et rouge ont été tenus à l’écart, en particulier ceux du Triangle nord de l’Amérique centrale, Haïti, le Nicaragua et le Venezuela. On comprend moins la présence du Brésil de Jair Bolsonaro qui a bousculé, depuis son accession au pouvoir, les équilibres démocratiques, renoncé pendant des mois à gérer la pandémie de Covid-19 et dont le nom et celui de membres de sa famille ont été cités dans diverses affaires. L’absence de la Bolivie de Luis Alberto Arce, élu dans des conditions incontestées après plusieurs mois de dérapages démocratiques, interpelle. Les critères de vie démocratique tels que définis par le Département d’État, à savoir « respect de la loi, lutte contre l’autoritarisme, les inégalités et la corruption », auraient tout autant permis de mettre sur le banc de touche le Chili et l’Équateur dont les chefs d’État sont cités dans les « Panamá Papers ». Cuba en revanche aurait pu bénéficier d’une invitation indulgente, compte tenu de son volontarisme social.

Les initiatives prises ou annoncées donnent à la grande alliance démocratique proposée par Washington les 9 et 10 décembre une coloration reflétant ses intérêts stratégiques : l’intégration économique du Mexique, sa participation active à l’imperméabilisation de la frontière commune, une gestion étroitement contrôlée des migrations centraméricaines et haïtiennes, l’endiguement des concurrents extérieurs à l’hémisphère occidental, la mise à l’index des gouvernements suspectés d’amitiés particulières avec la Chine et la Russie (Cuba, la Bolivie, le Venezuela). Le certificat démocratique associé à l’invitation au Sommet démocratique valide des valeurs morales partagées, mais aussi le respect de devoirs économiques, migratoires, hémisphériques répondant aux attentes des États-Unis. (…)

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Voir également notre revue de presse du 21 octobre 2021
Tournée en Amérique latine du secrétaire d’État étasunien, Antony Blinken (revue de presse)