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DOSSIER C’est, en 2005, la Sixième déclaration de la forêt Dans la pratique, l’influence zapatiste dépasse
lacandone, La Sexta, celle qui conduira l’EZLN à largement les limites des communes autonomes
affirmer que désormais, elle écouterait et parlerait qui refusent toujours toute aide gouvernementa-
« directement et sans intermédiaires ni médiations, le. De plus en plus, elles sont saisies de demande
avec les gens simples et humbles »… pour construi- de solution juridique par des villages voisins, as-
re avec eux un programme de lutte contre le ca- surés d’une justice sans corruption. Leurs clini-
pitalisme, en inventant une autre manière de faire ques sont ouvertes aux non zapatistes qui savent
de la politique, et en se battant pour obtenir une qu’ils seront mieux traités que dans les hôpitaux
nouvelle constitution. Puis, en 2006, le lancement de l’État.
de l’Autre campagne, la Otra campaña, - en réfé-
rence à la campagne électorale pour la présiden- Le mouvement zapatiste a été le premier à pro-
tielle- où l’on verra Marcos et de nombreux mili- poser une nouvelle façon de faire de la politique
tants zapatistes sillonner le pays d’en bas. Jusqu’à dans le monde bouleversé du début des années
ce jour de mai 2006, à San Salvador Atenco, où le 90. Son mandar obedeciendo (commander en
Front des peuples pour la défense de la terre fait obéissant) a marqué et façonné de nouvelles
un accueil triomphal a la Otra campaña. Le lende- générations au Mexique et dans le monde. Ses
main, profitant d’un incident entre vendeurs sur propositions se sont retrouvées au cœur des
le marché de Texcoco, celui qui est aujourd’hui mouvements altermondialistes des années 90.
président de la République et était, alors, gouver- Sa capacité à renouveler le langage politique,
neur de l’Etat, Enrique Peña Nieto, fait donner sa sa créativité, son intransigeance, sa réflexion sur
police. Le gouvernement fédéral ne sera pas en les droits des exclus, en font un mouvement ori-
reste sous la houlette du chef de la police, Genaro ginal. Il n’a certes pas connu que des succès. La
García Luna, de triste mémoire. Atenco où, depuis tentative de créer un Front zapatiste (FZLN) en
2000, sont menées des luttes contre un aéroport milieu urbain, en 1997 n’a pas eu l’écho attendu.
et pour la défense de la terre, devient le théâ- En revanche, la création du Congrès national in-
tre d’une répression violente rarement atteinte. dien (CNI), en 1996, regroupant près de soixante
Deux morts, 27 viols, des centaines d’arrestations groupes indiens du pays et qui se réunit réguliè-
et la condamnation à des peines énormes de trois rement pour débattre de questions de sécurité,
dirigeants –que la Cour suprême de la Nation am- d’environnement et d’organisation, a donné à
nistiera en 2009. ces peuples originaires une réelle visibilité et a
La Otra campaña s’est arrêtée à Atenco pour évi- aidé à la communication avec les autres groupes
ter de mettre en danger la population civile. Mais, indiens du continent. La dernière initiative des
le silence dans lequel s’enferment les zapatistes zapatistes a été La Escuelita zapatista (la petite
va permettre le renforcement et la consolidation école zapatiste) en août 2013 -et qui joue les pro-
de la proposition alternative autogestionnaire. longations. Invitation nationale et internationale
Même si la pauvreté reste un dénominateur com- à ceux qui voudraient en savoir plus sur la réalité
mun de ces populations, dans les communes quotidienne, invitation à apprendre et écouter
autonomes, on vit mieux, et surtout plus digne- ceux d’en bas, ceux qui font vivre l’utopie et la
ment, qu’il y a vingt ans. Le mouvement reste construisent.
certes, en grande partie, limité au Chiapas mais
pas seulement. Sous des formes différentes, les Aujourd’hui, avec le retour du PRI au pouvoir, la
communes autonomes ont fait des petits dans le question se pose de son attitude face au mouve-
Guerrero, au Michoacan, à Oaxaca et même dans ment zapatiste. Jouera-t-il, comme par le passé,
le nord du pays. la carte de l’usure et la division ? Manifestera-t-il
Cela ne se fait pas sans difficultés. Partout, les une réelle volonté de sortir du conflit par le haut
agressions sont permanentes et la guerre silen- en reprenant les négociations et en respectant les
cieuse loin d’être terminée. Au Chiapas, l’armée décisions déjà accordées ? Ou, comme semblent
est toujours là, les groupes paramilitaires aussi, le prédire les évènements actuels, choisira-t-il la
bras armé de l’Etat pour reprendre aux pay- voie de provocation et de la force pour une so-
sans zapatistes les terres récupérées en 1994 et, lution violente ? Ce serait mal connaître la capa-
aujourd’hui, cultivées pour redonner aux com- cité de résistance du monde indien, l’aspiration
munautés une autosuffisance alimentaire mise à à d’autres formes de politique manifestée dans
mal par l’Alena. Ces terres ne sont toujours pas leur pays et la solidarité des multiples réseaux
légalisées, faute d’un véritable accord de paix. qu’ils ont tissés autour du monde.
Françoise ESCARPIT
Journaliste, ancienne correspondante
de presse en Amérique latine
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