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1992 voit aussi la signature de l’Alena (Accord            rillero et aura un rôle essentiel dans l’orientation     DOSSIER
de libre-échange nord-américain, Canada, Etats-            politique de l’EZLN qui ne s’appelle pas encore
Unis, Mexique) et les premières manifestations             zapatiste. Le temps des guérillas traditionnelles
contre la célébration de la découverte des Amé-            est finie et la direction de la lutte incombera aux
riques. Au Guatemala, c’est en 1996 que l’Unité            Indiens à travers le Comité clandestin révolution-
nationale révolutionnaire guatémaltèque (UNRG)             naire indien (CCRI) qui rappellera qu’il s’agit d’une
signera les accords de paix. Le mur de Berlin est          guerre pour la démocratie, la liberté et la justice,
tombé et l’on peut croire le temps des insurrec-           et non pour la prise de pouvoir politique, ni pour
tions et des guérillas révolu.                             une quelconque sécession du Chiapas.
Pourtant, au Mexique, on sent le Parti révolution-         Après la signature des accords de San Andrés, en
naire institutionnel (PRI), hégémonique depuis             1996, l’EZLN a espéré que le gouvernement mexi-
60 ans, contesté jusque dans ses rangs. L’année            cain tiendrait ses engagements en les traduisant
1994 sera sanglante avec l’assassinat de deux de           en textes constitutionnels et législatifs. Avec la
ses dirigeants, considérés comme des réformis-             victoire, en 2000, de Vicente Fox, candidat du
tes, Francisco Ruiz Massieu et, surtout, Luis Do-          Parti d’action nationale (PAN, droite conservatri-
naldo Colosio, candidat à la présidence. Dans les          ce et cléricale), et son engagement à trouver une
régions les plus pauvres du pays, les tensions sont        solution au conflit, les zapatistes ont décidé de
fortes et des épisodes de violence se manifestent,         faire pression sur le gouvernement en organisant
face au mur d’exclusion, dans les régions à forte          la marche Couleur de la terre, qui les conduirait
population indienne, comme le Guerrero, Oaxaca             du cœur de la forêt à la place centrale de Mexico,
et le Chiapas.                                             le Zocalo, où ils attendraient le résultats des dé-
La grande marche du 12 octobre à San Cristobal             bats et du vote. Ce fut un moment de l’histoire
de las Casas, en 1992, avec quelques 15 000 parti-         mexicaine récente d’une force incroyable avec
cipants -dont une grande partie se préparait, de-          le camion transportant les 23 commandants de
puis 1989, à l’insurrection- aurait dû sonner com-         l’EZLN, traversant les villes et les villages, attirant
me un avertissement. Mais, Carlos Salinas de Gor-          des millions de personnes sur leur passage, un
tari (élu de la fraude historique de 1988) essayait        moment d’espérance intense. Nul n’oubliera le
alors de vendre aux Mexicains l’idée qu’ils étaient        discours de la commandante Esther devant les
aux portes du « premier monde » et préparait le            parlementaires mexicains. Pas plus que la trahi-
terrain de l’Alena. En supprimant les subventions          son des partis, y compris du Parti de la révolution
sur le maïs, il supprimait la garantie du prix de          démocratique (PRD), qui videront de son contenu
vente et d’achat aux paysans. La modification de           le texte, notamment sur la question du territoire.
l’article 27 de la Constitution, sous le prétexte de       Ou la colère et la déception des dirigeants zapa-
rendre propriétaires les usufruitiers des ejidos           tiste, et leur retour vers les communautés indien-
(forme de propriété héritée de la révolution mexi-         nes et le silence qui s’en suivit.
caine), va permettre la vente de ces terres, faisant       En 2003, le mouvement décide d’appliquer, de
du paysan la proie d’enjeux agricoles, touristiques        fait, les accords de San Andrés et crée les Cara-
ou industriels.                                            coles qui succèdent aux Aguascalientes comme
Aussi, lorsqu’à l’aube du 1er janvier 1994, à l’heu-       forme d’organisation. A l’intérieur, les Municipios
re où l’on fête l’année nouvelle, à l’heure où l’Ale-      autónomos zapatistas (communes autonomes)
na entre officiellement en vigueur, des milliers           sont dirigés par les Juntas de buen gobierno
d’Indiens, sommairement armés et aux visages               (Conseils de bon gouvernement) avec une rota-
couverts de paliacates ou de passe-montagne,               tion fréquente des représentants. A partir de ce
font irruption dans plusieurs villes et villages du        moment-là, les zapatistes font le choix d’un déve-
Chiapas, la surprise est totale. Et la sympathie du        loppement autonome : éducation –il y a actuelle-
peuple mexicain déjà palpable. Ce mouvement,               ment plus de cent écoles avec un millier de maî-
formé d’Indiens venus de la forêt lacandone, des           tres-, santé, justice, logement, environnement,
hauts plateaux ou des fonds de vallée du Chiapas,          voirie, répartition des moyens, production agri-
venait déclarer la guerre à l’armée et au gouver-          cole et artisanale… C’est aussi le moment d’une
nement.                                                    réorganisation politique. L’EZLN décide de ne
Le degré d’organisation et d’expérience des luttes         plus être la voix des Conseils de bon gouverne-
du mouvement indien surprendra le groupe gué-              ment et de ne plus intervenir dans des décisions
                                                           leur revenant.

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