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Raúl Vera répond : « Si je fermais les yeux, je ne         tiste de libération nationale et le gouvernement
pourrais plus célébrer l’eucharistie. Je deviendrais       mexicain. Des milliers de femmes et d’hommes,
un marchand de sacrements ». Plus tard, officiant          armés de simples carabines, sont entrés dans
sur la grand place de Chilpancingo, il dénonce             la PC qui couvre 77 communautés de la Costa
« l’économie capitaliste spéculative » et réclame « la     Chica et la Montaña. Rien à voir avec les grou-
construction d’un monde pour tous ».                       pes d’autodéfense de l’État voisin du Michoa-
En septembre dernier, l’ouragan Manuel a dévas-            can où des éleveurs, des chefs d’entreprise, des
té l’État de Guerrero. Sur l’autoroute, on en voit         transporteurs, des producteurs d’avocats et de
encore les traces : coulées de boue et de pierres,         citrons, appuyés par l’armée, se sont mobilisés
ponts précaires, tunnels en réparation… Les mé-            pour reconquérir les espaces confisqués par le
dias ont occulté l’ampleur de la catastrophe qui           cartel des Caballeros Templarios, narcos et crimi-
a touché les régions de la côte et de la Montaña.          nels, des autodéfenses qui semblent se profiler
Des tonnes d’aliments, envoyés solidairement               comme un futur groupe paramilitaire.
de diverses régions du pays, ont été retrouvées,           La PC de l’État de Guerrero est tiraillée entre
oubliées, dans des dépendances gouvernemen-                deux voies : celle de «l’accréditation», c’est-à-
tales.                                                     dire le retour, de fait, dans le giron institution-
Pour arriver à Ayutla, il faut s’enfoncer au cœur          nel, et celle de l’indépendance, choisie par celle
des terres vers le sud. A l’entrée de la ville, l’évê-     de la région de Tixtla, dirigée par une très jeune
que reçoit l’hommage de milliers de personnes              commandante qui explique que sa fonction ne
qui l’ensevelissent sous des colliers de fleurs de         s’arrête pas à la sécurité mais va bien au-delà,
cempasuchils et de frangipaniers. Les instru-              en matière d’éducation, de prévention, d’orga-
ments à vent s’époumonent et, sous le soleil de            nisation des communautés (agriculture locale
midi, l’accompagnent tout au long de la marche             durable, lutte contre les compagnies minières
qui mène au centre. Là, l’attendent les veuves,            étrangères) et de combat contre le narcotrafic
orphelins et survivants du massacre du Charco              local ou la prostitution (avec une « rééducation
en 1998. Est là ausssi Inés, l’une des deux fem-           adaptée à chaque cas et largement débattue avec
mes (avec Valentina) violées par des soldats en            les conseillers éducatifs »). « La PC ne veut pas faire
2002 et qui, toujours soutenue par son mari,               le boulot du gouvernement » mais la population
n’a jamais baissé les bras pour obtenir répara-            « n’en peut plus de la violence, de la délinquance et le
tion. La construction d’infrastructures collecti-          l’arbitraire ».
ves pour son village n’est toujours pas achevée.           Sur la place centrale d’Acapulco, c’est avec émo-
L’État mexicain n’a pas respecté la demande de             tion que l’assassinat de Rocío Mesino, dirigeante
réparation collective de la Cour interaméricaine           de l’Organisation paysanne de la Sierra du Sud
des droits humains. Présente également, Obtilia,           (OCSS) a été évoqué. Son père avait été arrêté en
dirigeante de l’OPIM (Organisation du peuple in-           1994 avec Benigno Guzman, et son frère, Miguel
dien mee’pha), rappelant les hommes stérilisés,            Angel, assassiné en 2005. Cette organisation
en 1998, sous la menace, les assassinats de Raúl           a payé un tribut terrible à la violence politique
Lucas et Manuel Ponce, en 2009, et dénonçant la            depuis les 17 morts et 40 blessés en 1995 dans
militarisation de la région.                               l’embuscade au gué d’Aguas Blancas.
Sur le Zócalo, sont aussi là les hommes et les             Dans ses conclusions, que l’on pourra lire sur le
femmes de la police communautaire du Paraíso,              site France Amérique Latine, la mission a appelé
polos et casquettes kaki au logo de la CRAC-PC             l’État mexicain à arrêter la militarisation des es-
(Coordination régionale des autodéfenses com-              paces publics, à cesser de criminaliser les polices
munautaires-Police communautaire). C’est en                communautaires de l’État de Guerrero dont la
1998 qu’elle est née, à San Luis Acatlan, Costa            création s’appuie sur la convention169 de l’OIT
Chica de Guerrero, associée à une justice s’ap-            et la loi 701 de l’État de Guerrero, ainsi que les
puyant sur les us et coutumes. Dans les villages           militants des mouvements sociaux et les défen-
retirés de la région, il y avait trop de morts, de         seurs des droits humains, et à en finir avec l’im-
viols, du vol de bétail et une délinquance liée            punité.
au narcotrafic dont Ayutla est devenu un impor-
tant couloir de passage. La population finissait                                                     Françoise ESCARPIT
par se faire elle-même justice, souvent dans l’ex-                                 Membre de la Mission d’observation.
cès. Cette police est inscrite dans les accords de
San Andrès, signés en 1996 entre l’Armée zapa-
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