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Avancées et contradictions d’une sidérurgie
         sous contrôle ouvrier

         En mai 2008, après quinze mois de lutte acharnée des travailleurs, le président vénézuélien
         Hugo Chávez annonce la nationalisation de la principale aciérie du pays, la Sidérurgie de
         l’Orénoque (Sidor), jusque-là propriété du groupe argentin Techint. Commence alors une des
         expériences les plus audacieuses de contrôle ouvrier au Venezuela, une cogestion de l’entre-
         prise entre l’Etat et les travailleurs, élus aux principaux postes de direction.

DOSSIER  Un an plus tard, nous avons rendu visite aux               nouveau modèle productif à travers le Plan Guya-
         travailleurs de Sidor. Le gouvernement venait              ne socialiste 2009-2019.
         d’officialiser le rachat de la sidérurgie pour 1,97
         milliard de dollars. Comme la plupart des natio-                   Plan Guyane socialiste 2009-2019
         nalisations au Venezuela, il ne s’agissait pas d’une       Aujourd’hui, les entreprises sidérurgiques publi-
         expropriation mais d’un rachat au consortium ar-           ques de la Guyane vénézuélienne sont intégrées
         gentin (appartenant au groupe Ternium, basé au             dans ce plan qui prétend réorganiser tout le sec-
         Luxembourg). Sidor est plus qu’une usine, c’est            teur de la sidérurgie avec la participation active
         un complexe industriel qui s’étend sur plus de             des travailleurs. La structure théorique, sur la-
         900 hectares, compte aujourd’hui près de 12000             quelle se base la mise en application du contrôle
         travailleurs et produit quatre millions de tonnes          ouvrier, compte un maximum de quatre niveaux
         d’acier par an, faisant du Venezuela le quatrième          de division technique du travail.
         producteur d’acier d’Amérique latine et le pre-            Dans la pratique, de nombreux problèmes de
         mier de la région andine. C’est aussi le principal         fonctionnement se sont fait sentir depuis la natio-
         exportateur non-pétrolier du pays.                         nalisation. Le courant Alianza Sindical, du syndi-
         Le conflit social avait éclaté un an plus tôt car          cat Sutiss (Syndicat des travailleurs de l’industrie
         Techint refusait d’améliorer les conditions de tra-        sidérurgique et similaires), accuse fréquemment
         vail lors de la négociation de la convention collec-       la direction de prendre des décisions « unilaté-
         tive. Les travailleurs luttaient pour leurs salaires,      rales, non consultées et qui favorisent des intérêts
         leurs retraites, ainsi que pour l’intégration d’en-        personnels ». Corruption, baisse de la production,
         viron 9000 sous-traitants. Ils avaient finalement          obsolescence du matériel, vente illégale de pro-
         réussi à imposer un rapport de force (face au mi-          duits vers l’extérieur : le courant syndical n’est pas
         nistre du Travail de l’époque, José Ramón Rivero,          tendre et dénonce un « contrôle ouvrier » déna-
         qui avait pris parti pour la transnationale, mais          turé et instrumentalisé.
         aussi face à la répression de la Garde nationale           Un fossé est donc apparu entre la direction (pour-
         envoyée par le gouverneur de l’Etat de Bolivar,            tant issue des tables de travail du contrôle ouvrier)
         le général Francisco Rangel Gómez) et à arracher           et les travailleurs. De plus, ces derniers paraissent
         une nationalisation au départ perçue par le gou-           ne pas disposer de réel pouvoir de pression ni de
         vernement comme un possible sujet de discorde              révocation, contrairement à ce que pourrait laisser
         avec l’Argentine des Kirchner.                             croire le modèle théorique. Le président exécutif
         Ce retour dans le giron de l’Etat a apporté aux tra-       de Sidor depuis 2010, Carlos D’Oliveira, a finale-
         vailleurs un certain nombre de bénéfices immé-             ment été destitué en août 2012. Mais la décision
         diats. Mais la nationalisation de Sidor n’était que        fut prise unilatéralement par le président Hugo
         le point de départ de ce qui deviendrait la nou-           Chávez, et son remplacement s’est apparemment
         velle Corporation Sidérurgique du Venezuela. En            fait de manière tout aussi unilatérale. De quoi cor-
         effet, le 21 mai 2009, lors d’une rencontre avec les       roborer les dénonciations du syndicat quant au
         travailleurs des entreprises de base, Hugo Chávez          faible degré de consultation des travailleurs sur
         annonçait la nationalisation des quatre usines du          des décisions fondamentales pour l’entreprise.
         secteur briquetier (produisant des briquettes de
         minerai de fer). Le cycle de production de l’acier                       Mobilisations constantes
         passait ainsi entièrement sous contrôle de l’Etat,         Les différences de vue et les frictions entre les
         des mines de fer jusqu’à la sidérurgie. Le même            travailleurs et l’administration persistent donc
         jour, des tables de travail étaient mises sur pied,
         afin d’inclure les travailleurs dans la définition du

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