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Quel modèle de développement au Venezuela ?
Jusqu’à la déclaration des résultats électoraux du 7 octobre 2012, le camp chaviste craignait un faible
écart de voix entre le président sortant et le candidat de l’opposition Capriles, ce qui aurait permis à cel-
le-ci de contester le résultat et de crier à la fraude. Les 55% obtenus par Chávez ont levé ces inquiétudes
mais on peut se demander avec Roberto Lopez Sanchez, professeur à l’université de Zulia : « pourquoi
les votes de l’opposition augmentent alors que notre programme politique révolutionnaire et trans-
formateur devrait compter l’appui de 80 à 90 % du peuple vénézuélien ? » . Comment expliquer qu’une
part non négligeable des couches populaires vote pour Capriles ou s’abstienne ? Outre les questions
de corruption et l’insécurité qui règne dans les grandes villes, la réponse se trouve dans le modèle de
développement en cours au Venezuela.
DOSSIER Une Constitution progressiste mais … ils investissent. Position complètement hypocrite car,
La Constitution de 1999 représente une avancée im- à part PDVSA, qui est une entreprise puissante, seules
portante. De nombreux droits sociaux sont reconnus les multinationales des pays du Nord ont les moyens
ou approfondis et le pouvoir populaire est défini com- d’investir au Venezuela et rares sont les entreprises vé-
me un 5ème pouvoir. nézuéliennes qui peuvent le faire en France.
C’est sur le terrain économique que la Constitution Cela signifie que du point de vue des milieux d’affaires,
reste frileuse. L’article 112 reconnaît que « l’Etat favo- et malgré Chávez, le Venezuela reste une terre de pro-
risera l’initiative privée » tandis que l’article 115 est in- fits. Il faut comprendre pourquoi.
titulé « le droit de propriété est garanti ». Plus loin, la
Constitution interdit la confiscation des biens, hormis La nouvelle utilisation du pétrole
en cas de délit. Selon le Titre VI de la Constitution, « du Depuis le début de son exploitation dans les années
système socio-économique », l’Etat doit développer le 1920, le pétrole est le moteur du développement du
pays conjointement à l’initiative privée. pays. Jusqu’en 1998, la rente pétrolière était distribuée
L’Etat a droit de regard sur les activités stratégiques aux classes dominantes et les mécanismes de corrup-
et PDVSA, l’entreprise nationale de pétrole, reste aux tion étaient généralisés jusqu’au plus haut sommet
mains de l’Etat, exception faite des filiales ou des so- de l’Etat¹. La volonté de Chávez de mettre un terme à
ciétés mixtes. cette situation s’est concrétisée par la nouvelle loi sur
Le mode de développement économique du Venezue- les hydrocarbures discutée entre 2000 et 2002. Elle
la est explicitement organisé autour de quatre types de augmentait la redevance payée par l’entreprise publi-
structures : l’entreprise privée, l’entreprise publique, la que PDVSA mais surtout instaurait un contrôle de la
société d’économie mixte et la coopérative. production et des livres de comptes.
Le secteur public représente 34,8% du PIB en 1998 et Ce pétrole sera utilisé pour développer les services
le secteur privé 65%. Le gouvernement va tenter pen- publics, via les missions sociales. Les programmes d’in-
dant les années suivantes de développer le secteur frastructure du gouvernement sont aussi financés par
coopératif, considéré comme l’alternative à la proprié- la rente pétrolière.
té privée des moyens de production. La Constitution Mais si près de 50% des revenus du gouvernement pro-
le permet, mais les règles instaurées dans ce texte ne viennent des hydrocarbures, la ponction pour financer
font que limiter les excès du capitalisme néolibéral. les services publics et les travaux ne s’accompagne pas
C’est très net avec la perspective fixée par le gouverne- d’un entretien et d’investissements suffisants dans le
ment d’élaborer un plan de développement économi- secteur pétrolier. Cela est apparu très clairement après
que où l’Etat jouera un rôle de régulateur. Même dans l’explosion en août 2012 de la raffinerie Amuay, la plus
le cas du pétrole, la nationalisation de PDVSA n’inter- importante du pays. Avec 42 morts et des dizaines de
dit nullement la présence des compagnies pétrolières blessés, cet accident industriel révèle la faiblesse de
étrangères. Si PDVSA instaure un contrôle et impose ce mode de développement. Le secrétaire général du
une participation minoritaire aux multinationales pé- syndicat des travailleurs du pétrole a dénoncé publi-
trolières dans des sociétés mixtes, les accords sur les quement cette situation ainsi que l’exclusion des re-
investissements permettent le rapatriement des pro- présentants syndicaux de l’enquête confiée à l’armée.
fits vers les puissances du Nord. C’est toute la limite d’une économie de rente qui per-
D’ailleurs, pour exemple de la confiance des investis- met, via la distribution d’une partie des recettes, de
seurs internationaux, en 2001 un accord de protection participer à l’amélioration des conditions de vie, mais
des investissements a été signé entre la France et le qui n’est en rien synonyme d’un développement pro-
Venezuela. Cet accord est identique à ceux qui sont si- ductif alternatif au modèle antérieur.
gnés avec les autres pays d’Amérique latine. Il est pré-
senté comme équitable car il établit que le Venezuela Le modèle de développement en débat
comme la France ont les mêmes droits dans le pays où au Venezuela
Après 13 ans de pouvoir, le secteur privé représente
toujours 70% du PIB². Certes, le gouvernement a im-
¹ Trois présidents de la République successifs, Luis Herrera Campins en 1982, ² La BCV (Banque Centrale du Venezuela) donne les chiffres suivants : la part du
son successeur Jaime Lusinchi, puis Carlos Andrés Pérez en 1993 furent accusés 18 secteur public dans le PIB est passée de 34,8% en 1998 à 30,9% en fin 2011.
de corruption et parfois condamnés.