Page 19 - fal_mag_111
P. 19
Le «Sambill Mall», temple de la consommation capitaliste à Caracas.
DOSSIEROr, la politique sociale du gouvernement s’est appuyée
sur deux éléments : les missions qui permettent l’accès
© Cathy Ferréde tous aux services publics prioritaires (santé, édu-
cation, alimentation) et la revalorisation permanente
pulsé un modèle de production fondé sur le dévelop- du salaire minimum. L’augmentation du niveau de vie
pement des coopératives. Leur nombre va rapidement appelle une croissance de la consommation qui n’est
exploser, passant de 1.045 en 2001 à 225.000 en 2007 pas satisfaite par la production intérieure. D’où la part
puis se stabiliser. Mais le bilan de ces coopératives est dominante des produits manufacturés importés et le
contrasté. Elles ne participent que pour moins de 2% coût de la vie, fondé sur un taux de change défavora-
au PIB contre 0,6% en 1998. D’autre part, le nombre ble entre le dollar et le bolívar.
des travailleurs qui y participent est resté à peu près Déjà, lors de la crise bancaire de 2009, la BCV et de
stable avec un peu plus de 200.000 en 2010 contre nombreux économistes avaient alerté le gouverne-
plus de 150.000 en 1998. ment sur la nécessité de nationaliser les banques pour
Ce qui permet à l’ancien ministre des Industries de créer un pôle bancaire public, dont le but ne serait pas
Base et Minières, Victor Alvarez, d’affirmer « entre la satisfaction des spéculateurs mais de participer au
1998-2008 l’économie vénézuélienne a été encore développement du pays. Cela a été refusé. Plus tard,
plus privée, ce qui est totalement contradictoire au vu des risques de faillite encourus, une récente loi
avec les objectifs que s’est donné le Gouvernement bancaire instaure un contrôle des changes et des mou-
Bolivarien de transformer l’économie capitaliste en vements de capitaux.
un NMP [nouveau modèle productif] socialiste »². Cette situation a été débattue au sein même du mou-
Situation qui perdure malgré l’accélération des na- vement syndical où des propositions ont été avancées.
tionalisations depuis 2009. Afin d’éviter que la production ne serve des intérêts
S’il y a eu d’indéniables progrès dans les dépenses pu- privés ou bureaucratiques, une revendication est res-
bliques et sociales pour lutter contre les inégalités, se sortie avec force : celle du contrôle ouvrier. Mais la
posent d’innombrables questions pour transférer le nouvelle LOTTT (le code du travail) ne l’impose qu’en
pouvoir politique et économique au peuple vénézué- cas de malversation ou de délit patronal. Pionnier en
lien et pour transformer les relations sociales de pro- la matière, le secteur électrique où les syndicats ont
duction. adopté en congrès fin 2009 la revendication de natio-
Pire, de 1988 à 2011 un processus de désindustrialisa- nalisation totale de l’électricité sous contrôle ouvrier.
tion frappe l’économie vénézuélienne. Selon la Banque La production électrique est largement supérieure aux
Centrale du Venezuela, la part du secteur manufactu- besoins, mais des coupures sont fréquentes dans tout
rier dans le PIB est passée de 20% en 1987 à 14,8% en le pays. Les syndicats expliquent cela par une double
2011. responsabilité : la gestion bureaucratique de la partie
Ce secteur n’est pas le seul en berne. La production service public et la gestion patronale de la part privée.
agricole continue d’être largement inférieure à la de- D’où leur revendication.
mande intérieure. La réforme agraire se fait attendre Ces demandes d’approfondissement du processus de
et les expropriations ne touchent pas les propriétés la révolution bolivarienne révèlent les faiblesses et les
privées productives. Même si la production agricole a difficultés pour avancer vers un nouveau modèle pro-
bondi de 44% entre 1998 et 2010, le niveau des im- ductif.
portations de produits alimentaires reste le même, aux
environs de 70%. Et pourtant …
Quand on regarde de près le mode de production au
Venezuela, il est clair que le système capitaliste reste
dominant après 13 ans de pouvoir ; il n’y a pas de mo-
difications structurelles fortes permettant de transfor-
mer de manière décisive les rapports sociaux entre les
classes sociales.
Pourtant, il est indéniable que sous les présidences
de Chávez, ce pays qui était un des plus inégalitaires
en Amérique latine a inversé la situation et amélioré
très fortement les conditions de vie de la majorité, no-
tamment des plus pauvres. Par exemple, il est passé
de 70% de la population sans aucun accès aux soins
en 1998 à des services gratuits dans tous les quartiers
populaires.
Mais, conséquence de ce mode d’utilisation de la rente
pétrolière, la dépendance vis-à-vis du marché exté-
rieur est toujours aussi forte. Le cas de l’automobile est
significatif. En l’absence de transfert de technologie,
19
