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Du « bolivarisme » au « chavisme » :
entretien avec Thomas Posado
Thomas Posado est doctorant en Sciences politiques de l’Université Paris 8 et membre du
Groupe d’Etudes Interdisciplinaire sur le Venezuela (GEIVEN) qui s’est créé en 2010 (http://gei-
ven.com). Il travaille notamment sur le syndicalisme et le processus bolivarien.
L’équipe de rédaction de FAL Mag l’a rencontré pour lui demander son analyse de quelques
aspects controversés de la Révolution Bolivarienne.
DOSSIER On parle au Venezuela de «Révolution Bolivarienne». été divisés par deux, grâce à la mise en place de pro-
En quoi la référence à Bolívar est-elle d’actualité en
2012? Qu’est-ce que le bolivarisme aujourd’hui ? grammes sociaux d’alimentation, de santé, d’éduca-
tion. Depuis 2007, le chavisme oscille au gré de la
La référence à Simón Bolívar est utilisée au Venezue- situation économique et des échéances électorales
la depuis son indépendance au début du XIXème
siècle. D’un président progressiste comme Hugo entre renforcement des pouvoirs du chef de l’Etat
et concessions aux classes populaires dans un flou
Chávez au dictateur qui a ouvert le Venezuela aux idéologique réel.
trusts pétroliers comme Juan Vicente Gomez, tous
usent et abusent de l’image du Libertador. Hugo
Chávez lui donne un contenu de lutte pour l’unité Au niveau du continent latino-américain, le gouver-
nement vénézuélien est le moteur d’une dynamique
latino-américaine et la souveraineté nationale qu’il d’intégration régionale autonome des Etats-Unis et
avait indéniablement et un contenu d’opposition à
l’impérialisme étasunien et de justice sociale dont la de l’Union européenne. D’un autre côté, les positions
d’Hugo Chávez par rapport aux gouvernements et
présence chez Bolívar est plus contestable. évènements du monde arabe, sont largement dé-
Hugo Chávez se présente donc comme l’héritier de criées de ce côté-ci de l’Atlantique. Peux-tu nous en
dire plus sur le rôle joué par le pays sur l’échiquier
Bolívar… Mais qui est vraiment Chávez ? international ?
Hugo Chávez est un militaire de formation qui s’est
fait connaître en 1992 en essayant de réaliser un Depuis son arrivée au pouvoir, Hugo Chávez a re-
négocié le partage de la rente pétrolière dans un
Coup d’Etat contre le président social-démocrate sens moins défavorable à l’Etat vénézuélien sans
corrompu qui venait de mener une répression san-
glante pour appliquer un plan d’ajustement¹. Ce toutefois rompre avec les principales firmes pétro-
lières avec lesquelles des dizaines de contrats d’en-
jeune lieutenant-colonel avait alors, de son propre treprises mixtes ont été conclues. Cette politique l’a
aveu, des idées politiques imprécises. Ensuite, Hugo
Chávez a été élu démocratiquement en 1998 et mené à se trouver en contradiction avec les Etats-
Unis principalement et à multiplier les soutiens in-
gouverne le pays depuis cette date. ternationaux pour éviter l’isolement diplomatique.
Qu’est-ce que le chavisme ? Quelles en sont les va- Une organisation supra-nationale à vocation anti-
impérialiste, l’ALBA, a été créée avec Cuba, la Bolivie,
leurs, les idées mais aussi les limites? l’Equateur et le Nicaragua. Des institutions rassem-
Le chavisme est un mouvement trop hétérogène
pour être défini, il rassemble à la fois la « bolibour- blant l’ensemble des pays sud-américains (UNASUR)
et ceux de l’aire latino-américaine et caribéenne
geoisie » - la bourgeoisie bolivarienne pour qui le (CELAC) ont été fondées. Le Venezuela est égale-
gouvernement Chávez n’est qu’un prétexte pour
accumuler des richesses-, et des militants de base ment entré dans la zone de libre-échange sud-amé-
ricaine, le MERCOSUR, qu’il semble privilégier désor-
pour qui le gouvernement Chávez représente l’es- mais. Ces rapprochements diplomatiques se font
poir de construire une société libérée de toute ex-
ploitation. Les objectifs du chavisme ont grande- avec des pays latino-américains mais aussi avec la
Russie, la Biélorussie, l’Iran ou la Syrie. Hugo Chávez
ment varié depuis son arrivée au pouvoir : au début, a toujours considéré la solidarité anti-impérialiste
jusqu’à 2004, il s’agissait de refonder les institutions,
de reprendre le contrôle de l’industrie pétrolière et internationale comme une association de gouver-
nements plutôt qu’une association de peuples. Les
surtout de mettre en échec la stratégie insurrection- événements du monde arabe mettent en évidence
nelle de l’opposition soutenue par les Etats-Unis et
l’Espagne de José María Aznar ; ensuite, jusqu’en cette contradiction : Hugo Chávez continue à consi-
dérer le défunt Kadhafi ou Bachar-el-Assad comme
2007, un nouveau projet de société semblait à l’or- des humanistes, des socialistes, des camarades, des
dre du jour avec la multiplication des expériences
de démocratie participative, de nouveaux modes frères et leurs opposants comme des fascistes, des
terroristes manipulés par l’impérialisme.
d’organisation des entreprises. C’est à ce moment
que les taux de pauvreté et d’extrême-pauvreté ont
Propos recueillis par Cathy Ferré et Franck
Gaudichaud, membres du Bureau national
¹ Février 1989, le « Caracazo » (Voir «Le Venezuela
en quelques dates-clés», page 25). 24
