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Guerre médiatique contre le Venezuela
Tout régime démocratique a vocation à être soumis à l’analyse critique. Il est donc normal
qu’il en soit ainsi pour le Venezuela, au gré des quatorze élections qui s’y sont déroulées sous
la Cinquième République. Pour autant, si l’on s’arrête un instant sur les procédés censés servir
l’analyse, nombre de réserves sont à émettre sur la teneur et la qualité de cette critique. Peu
de pays comme le Venezuela semblent en effet concentrer autant l’ire des commentateurs mé-
diatiques.
DOSSIER En Amérique latine, les années 1970 ont été mar- Ainsi, outre l’attachement aux seules « petites
quées par des renversements brutaux, le recours phrases » sorties de leur contexte, on peut citer
à la force et la mise en place du Plan Condor suite le fait de tronquer le discours du chef d’état véné-
à l’avènement de régimes dictatoriaux. zuélien, pour lui assigner une image de fantasque
Plus récemment, on a assisté à des coups d’état ou de belliqueux. L’AFP, par exemple, n’a pas hé-
d’un nouveau type, au Honduras et au Paraguay, sité en janvier dernier, à supprimer - avant de se
où les gouvernements de facto se sont appuyés corriger sous le feu des critiques - l’introduction
sur des lectures séditieuses des institutions en d’une déclaration de Chávez recevant Ahmadi-
place. Entre ces deux cas de figure, le Venezuela nejad, lui faisant dire précisément le contraire de
a été – et continue d’être- la cible des attaques ce qu’il dénonçait. Il n’est pas anodin, à ce sujet,
d’un autre genre, à savoir un rare déchainement que Chávez soit régulièrement présenté comme
communicationnel et médiatique. le « lieutenant colonel putschiste » dans nombre
d’articles… Dans cette stratégie de dénigrement,
Sur le plan interne, l’une des premières étapes de l’erreur de traduction, dont il est difficile de savoir
ce déchainement est sans nul doute à identifier si elle est le fait de l’incompétence ou de l’inten-
dans le putsch de 2002 contre Hugo Chávez. S’il tion, s’avère tout aussi pratique que l’accumula-
a échoué sous la pression de millions de véné- tion d’erreurs factuelles, commise pour les mê-
zuéliens réclamant le retour au pouvoir de leur mes raisons².
président élu, cet épisode reste marquant par Le glissement sémantique s’est aussi révélé très
une singularité toute nouvelle : il a été largement commode, dans le cas du non renouvellement de
fomenté par les médias privés. Comme on peut le la concession de RCTV (Radio Carácas Televisión
voir dans « La révolution ne sera pas télévisée¹ », le Internacional), pour alimenter le sentiment que
coup d’état d’avril 2002 avait été savamment pré- Chávez muselait la liberté de la presse³. L’assimi-
paré sur le plan médiatique et a, du moins dans lation ou la comparaison avec déraison est aussi
un premier temps, bénéficié du relais des médias l’une des techniques dont aiment à user les édi-
internationaux. torialistes pour masquer leur méconnaissance de
Ces derniers, non contents d’avoir servi une la situation du pays⁴. Mais ceci est encore peu de
opération factieuse, ont également appuyé une choses si l’on compare au fait de verser dans la dif-
seconde tentative de déstabilisation quelques famation, l’imputation ou le procès d’intention⁵.
semaines plus tard, en parlant d’une « grève géné- En définitive, il est des problèmes au Venezuela
rale » autour de l’entreprise pétrolière nationale qu’il est légitime de soulever et de discuter. Pour
PDVSA là où en fait, il s’agissait d’un « lock out » autant, la vigilance critique ne peut laisser la pla-
patronal… ce à la calomnie systématique, au risque de ver-
Depuis lors, la guerre médiatique contre le régi- ser dans la caricature, voire dans la plus pure des
me bolivarien n’a jamais vraiment cessé. En effet, propagandes, qui ne laisse finalement que peu
hormis de rares épiphénomènes qui restent à sa- de place au véritable débat démocratique. Voilà
luer, les reportages et autres « sujets » sur le Ve- peut-être qui explique pourquoi le slogan « nos
nezuela se caractérisent, dans leur ensemble, par mean y la prensa dice que llueve⁶ » est devenu si
une profonde misère de l’information sur la situa- populaire en Amérique latine…
tion économique, sociale et politique. Dès lors,
pour meubler le trou béant laissé par le manque Nils SOLARI,
d’analyse digne de ce nom, l’information laisse le journaliste et membre d’Acrimed
plus souvent la place au commentaire et au pro-
cès d’intention, quand il ne s’agit pas tout simple- ⁴ cf. Franz-Olivier Giesbert géopolitise sur le Venezuela, Acrimed, 18 juillet
ment de désinformation ou de manipulation. Les 2012 : http://www.acrimed.org/article3862.html
procédés et les exemples les illustrant sont, hélas, ⁵ Voir le dossier Chávez, antisémite ? Le journalisme d’imputation, Acrimed :
non seulement nombreux, mais récurrents. http://www.acrimed.org/rubrique355.html
⁶ « Ils nous pissent dessus et la presse dit qu’il pleut ».
¹ Film de Kim Bartley & Donnacha O’Briain, 2003, 74 min. 22
² cf. Venezuela : France 2 se plante et se corrige… un peu, Acrimed, 12 octobre 2012 :
http://www.acrimed.org/article3906.html
³ cf. Fin de la concession attribuée à RCTV : concert de désinformation à la française,
Acrimed, 1er juin 2007 : http://www.acrimed.org/article2639.html