🇨🇺 À Cuba, le rêve d’une vieillesse préservée du capitalisme (LVSL)


Cette période de scandales autour des EHPAD, de débats relatifs aux retraites ou à la préservation des personnes âgées en temps de Covid, a soulevé des interrogations concernant les politiques publiques à l’égard des retraités. Dans son ouvrage Vieillir à Cuba (IHEAL, 2022), la sociologue Blandine Destremau nous immerge dans le système cubain de traitement de la vieillesse.

© Marielisa Vargas

À travers de riches entretiens, récits et analyses, elle fait des personnes âgées les témoins de la Révolution cubaine et des transformations sociales du pays ces soixante dernières années. En miroir – et sans manichéisme aucun – elle conduit à réfléchir à la condition des retraités dans les pays occidentaux. Avec une question fondamentale : « Quelle combinaison d’amour, de nécessité et de faille des politiques publiques » requiert ce sujet ? Entretien par Maïlys Khider, autrice du livre Médecins cubains : Les armées de la paix (LGM éditions, 2021).

LVSL – Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la question de la vieillesse à Cuba ?

Blandine Destremau – Le sujet de la vieillesse a surgi dans mes recherches. Je travaillais sur la protection sociale et la famille, avec pour interrogation : « qu’est-ce qu’une politique sociale socialiste ? ». Je me suis rendu compte que la présence des personnes âgées dans les familles absorbait beaucoup d’énergie. J’ai alors commencé à me pencher davantage sur les politiques publiques liées à l’accompagnement de la vieillesse par les familles. C’est une entrée fascinante sur Cuba. Il y a une classe d’âge entière dont le vécu dit de nombreuses choses sur l’accès aux biens, aux services, sur l’organisation de la famille. Certains ont vécu soixante ans de révolution et portent sa mémoire. Ils ont conscience de ce qui a changé, en mieux ou en pire. Cela donne une profondeur de champ sur l’histoire de la révolution et sur des trajectoires personnelles. La vieillesse est un prisme important pour regarder Cuba. Et Cuba est un prisme important pour considérer la vieillesse. Mes déplacements d’un terrain à l’autre m’ont permis de remettre en cause des évidences. Les Cubains m’ont parfois formulé des réflexions telles que : « vous mettez tout le monde en EHPAD chez vous ! ». En France, nous n’étudions pas assez la contribution de la famille à la prise en charge des personnes âgées – ce que l’exemple cubain permet de penser. À l’inverse, si l’on ne veut pas d’institutions de type EHPAD, on sacrifie forcément un membre plus jeune de la famille. Réfléchir à partir de deux lieux met notre système en perspective.

LVSL – La population cubaine est vieillissante. Pourquoi ? Et en quoi cela témoigne-t-il d’évolutions sociales et médicales à Cuba ?

BD – La baisse de la fécondité est le premier facteur de vieillissement. Après un petit boom de naissances dans les années 1970, les femmes ont fait beaucoup moins d’enfants. C’est dû à leur émancipation, elles qui ont eu le choix d’avoir un autre destin que celui d’être mère, et à un accès aux contraceptifs et à l’avortement depuis 1965. Les difficultés de logement et à se projeter dans l’avenir, la pauvreté, ont aussi pu dissuader de faire des enfants. Le deuxième facteur de vieillissement est la longévité, en lien direct avec les progrès d’un système de santé fortement égalitaire. Tout le monde a accès aux services de soins. Au sein de toutes les classes sociales, la durée de vie s’est accrue. Troisième facteur : la migration. Ceux qui s’en vont sont principalement des jeunes en âge de travailler et de procréer. Et la migration s’intensifie depuis un ou deux ans. Elle affecte notamment les zones où la culture sucrière est en recul depuis la fin des années 1990. C’est d’abord de ces endroits-là que les gens partent (vers les grandes villes cubaines et d’autres pays).

LVSL – Cuba est un pays de cohabitation entre les générations. Beaucoup d’adultes (parents pour certains), vivent avec leurs ascendants. Cette cohabitation est-elle culturelle, due à un manque de moyens, ou à un mélange des deux facteurs ?

BD – À Cuba, il n’est pas automatique de quitter le logement de ses parents en devenant adulte et en ayant soi-même des descendants. Les parents ne mettent pas leurs enfants dehors. Ils aident beaucoup les générations d’en-dessous. Et vice-versa. Cela structure la prise en charge du vieil âge à Cuba. La famille doit s’occuper de ses parents âgés, quel que soit le prix en termes de carrière – surtout celles des femmes.

En plus de cela, les filles pensent avoir besoin de leur mère pour élever leurs propres enfants. Cette solidarité intergénérationnelle entre femmes est culturelle. Mais elle est aussi économique. De nombreux adultes ne peuvent pas déménager à Cuba car il n’y a pas suffisamment de logements disponibles. Par ailleurs, la vie quotidienne est tellement compliquée par les problèmes d’approvisionnement qu’une mère avec ses enfants seule, même avec un conjoint, peut difficilement s’organiser pour tout gérer. Les conditions matérielles à Cuba ne permettent pas réellement la conciliation entre travail et organisation du foyer. Cohabiter permet une économie de temps. (…)

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