« L’accord avec l’UE aura un impact négatif sur les pays du Mercosur » (entretien avec Luciana Ghiotto / Luis Reygada / L’Humanité) / L’opposition de façade d’Emmanuel Macron (Jeanne Cassard / Reporterre)
L’accord de libre échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur devrait être finalisé d’ici la fin de l’année. Emmanuel Macron, qui s’y déclare opposé, n’a rien fait pour modifier le texte ou le faire rejeter. Cet accord aura des impacts négatifs pour les populations et l’environnement des deux côtés de l’Atlantique.
« L’accord avec l’UE aura un impact négatif sur les pays du Mercosur » (entretien avec Luciana Ghiotto / Luis Reygada / L’Humanité)
Côté sud-américain, l’accord UE-Mercosur est perçu par nombre d’activistes comme un traité qui minera la lutte contre la crise climatique, tout en approfondissant les inégalités. Entretien avec Luciana Ghiotto, spécialiste du commerce et des investissements au Transnational Institute.
De l’autre côté de l’Atlantique, de nombreuses organisations dénoncent les conséquences socio-économiques et environnementales que provoquerait l’accord commercial avec l’UE pour les pays du Mercosur. Loin de favoriser les populations locales, celui-ci bénéficierait aux sociétés transnationales, aux dépens des économies du Sud. Entretien avec Luciana Ghiotto, spécialiste du commerce et des investissements au Transnational Institute et membre du Conicet (Conseil national de la recherche scientifique et technique, Argentine).
Pourquoi pensez-vous que l’accord UE-Mercosur serait préjudiciable aux pays du bloc sud-américain ?
L’impact négatif sera très fort pour nos économies, notre tissu industriel. En matière d’industrie manufacturière, nous pouvons citer l’exemple de l’industrie automobile, un secteur très important tant au Brésil qu’en Argentine et qui a toujours été très protégé au sein du Mercosur. En effet, un des objectifs du Mercosur est de générer des liens productifs intrarégionaux. Or, l’accord commercial avec l’UE prévoit une période de quinze ans pour que nos marchés s’adaptent à l’importation de voitures européennes sans droits de douane. Cela finira par démanteler le processus d’intégration productive en cours chez nous depuis plusieurs décennies, et cela affectera nos chaînes de valeur. Et en bout de chaîne, les travailleurs.
Quelles seraient les conséquences environnementales ?
Bien sûr, l’impact à ce niveau sera brutal, par exemple en termes de déforestation. L’ouverture d’un plus grand quota d’importation de biodiesel par les pays européens provoquera inévitablement une expansion, chez nous, des champs de soja. La déforestation n’aura pas seulement un impact sur l’Amazonie brésilienne, dont on parle souvent en Europe, mais aussi sur les forêts du Paraguay et de l’Argentine, ainsi qu’en Uruguay.
L’agrandissement des marchés de consommation européens se repercutera avec plus de sols consacrés à l’agriculture d’exportation intensive, alors que ces espaces extrêmement riches en biodiversité devraient être préservés.
En parallèle, l’accord privilégie la commercialisation de la viande – qu’il s’agisse de bœuf, de porc ou de poulet – des industries contrôlées par de grands groupes parfois connus pour leurs pratiques destructrices pour l’environnement, mais aussi pour le droit du travail ou encore les droits humains.
Quels sont les effets de ces pratiques prédatrices sur les peuples originels ?
Logiquement, ces pratiques affectent souvent en premier lieu les peuples originels, qui se trouvent dans ces zones et qui ont historiquement joué le rôle de protecteurs de l’environnement et de la biodiversité.
Mais l’accord avec l’UE aura également un impact très concret sur des secteurs beaucoup plus larges de la population, qu’elle soit rurale ou urbaine, et les femmes seront très certainement les premières à en pâtir. En effet, le traité prévoit une libéralisation des services publics, ce qui se traduit par une hausse du coût à leur accès, or ce sont souvent les femmes qui sont responsables de l’accès à l’eau ou à d’autres services de base au sein des ménages. Nombre d’analyses économiques montrent l’impact différencié qu’ont ce genre de processus économique sur les femmes. (…)
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L’opposition de façade d’Emmanuel Macron (eanne Cassard / Reporterre)
Un accord « très mauvais » et « pas acceptable en l’état ». Depuis 2019, Emmanuel Macron répète à l’envi son opposition au traité de libre échange entre l’Union européenne et le marché commun sud-américain du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie). Il avait affirmé l’avoir « bloqué » en février dernier en pleine colère des agriculteurs — colère en train de se raviver à cause de la suspension des promesses du gouvernement et des négociations avec le Mercosur. En réalité, il n’en a rien été.
Les négociations sur ce traité qui prévoit de supprimer 90 % des droits de douane entre les deux zones ne se sont jamais arrêtées. Quoique décrié par la société civile, les agriculteurs et la majorité de la classe politique en France car mortifère à la fois pour le climat, les droits humains, la biodiversité, et les intérêts présumés des agriculteurs nationaux, l’accord est soutenu par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. Le texte pourrait ainsi être signé d’ici la fin de l’année voir peut-être plus tôt, lors du G20 à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre.
Surtout, le refus du président de la République ne serait qu’un discours de façade : « La position d’Emmanuel Macron consiste à dire non à Paris mais ne rien faire à Bruxelles au sein des institutions européennes », affirme Maxime Combes, économiste co-animateur du collectif Stop Mercosur et en charge des politiques de commerce et de relocalisation à l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs. Le chef de l’état disposait pourtant de plusieurs leviers d’action pour mettre en pratique sa parole. (…)
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Voir également :
– «La France peut encore bloquer l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur» (tribune collective signée par 200 député·es)
– Accord UE-Mercosur : Lettre ouverte à Emmanuel Macron et Michel Barnier
– Traité Mercosur : ce que révèlent les ambivalences de la position française (Marie Toulgoat / article réservé aux abonné·es / L’Humanité)
– Notre dossier Mercosur